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complète des conditions qui liaient solennellement envers elle le gouvernement du Céleste Empire. Par exemple, le traité stipule que les portes de la ville intérieure de Canton seront ouvertes aux étrangers. Cependant aujourd’hui encore les étrangers sont confinés dans un faubourg de Canton, et, s’ils voulaient franchir les limites que trace autour d’eux le préjugé hostile de la population chinoise, ils s’exposeraient gratuitement à des insultes, à des actes de violence que les mandarins eux-mêmes se sentent impuissans à prévenir ou à réprimer.

En 1847, sir John Davis, alors gouverneur de la colonie de Hong-kong et plénipotentiaire de sa majesté britannique, en Chine, remonta le Che-kiang, fit une démonstration vigoureuse contre les forts du Bogue, et adressa au vice-roi Ky-ing les représentations les plus énergiques contre la violation du traité. Ky-ing prit de nouveaux engagement, mais à quoi bon ? N’avait-il pas, dans deux dépêches adressées en 1845 au consul américain, écrit sur les dispositions du peuple de Canton les lignes suivantes, qui trahissaient la faiblesse trop réelle, en même temps qu’elles attestaient la bonne foi de son gouvernement : « Vous dites que, dans les autres ports ouverts au commerce, les étrangers peuvent parcourir librement l’intérieur de la ville, et qu’il n’en est pas de même à Canton ; mais le peuple de Canton est indisciplinable, et si les lois ne lui plaisent pas, il refuse d’y obéir ; jusqu’ici il n’a pas voulu que les étrangers pénétrassent dans la cité, et les mandarins ne peuvent exercer sur lui aucune contrainte. » Et plus loin : « Le peuple de Canton est un ramassis de bandits, de voleurs, de… » On voit que l’autorité règne peut-être en Chine, mais à coup sûr elle ne gouverne pas.

En présence de ces naïfs et lâches aveux, quelle attitude l’Angleterre pourrait-elle prendre ? Entre la guerre immédiate et la résignation patiente, il n’y avait pas de moyen terme. L’Angleterre a sagement agi : elle n’a point fait la guerre ; elle a calculé les pertes certaines et les avantages douteux d’une seconde expédition, et d’ailleurs elle considérait avec raison la faculté d’entrer à Canton comme un enjeu trop faible pour qu’elle se résolut à y risquer les intérêts de son immense négoce. Les marchandises anglaises naviguent librement sur le fleuve ; le port leur est ouvert, l’échange est facile : que faut-il de plus ? Serait-il prudent, que pour la satisfaction puérile de quelques enfans d’Albion désireux de promener leur curiosité dans les quartiers de la ville intérieure, la Grande-Bretagne s’avisât de compromettre les avantages réels dont elle profite si largement, et de partir en guerre aux applaudissemens et au profit des Américains, qui s’empresseraient d’aborder le pavillon de la neutralité et d’accaparer tous les transports ? Assurément non. Malgré l’humeur d’ordinaire si belliqueuse de lord Palmerston, l’Angleterre s’est contentée, en 1847, des pitoyables excuses du gouvernement chinois. À plus forte raison, aujourd’hui que les accidens de la politique européenne peuvent à chaque instant s’aggraver par de soudaines complications, tiendra-t-elle à conserver la paix de ses relations avec le Céleste Empire, tout en maintenant son droit, en le rappelant au besoin.

Ainsi il y a quelques mois à peine, le gouverneur de Hong-kong, M. Bonham, a tenté auprès de la cour de Pékin une démarche plus directe : un bateau à vapeur, le Reynard ; a été envoyé à l’embouchure du Pei-ho avec mission de