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Telle fut la cause qui nous fit oublier notre propre chagrin et conclure un important traité. Voulant donner la prospérité à notre empire, nous montrâmes de la tendresse à ceux qui étaient venus des pays lointains, et par suite, depuis dix ans, la flamme dévorante s’est éteinte d’elle-même, notre peuple et les barbares trafiquent en paix, et tous aujourd’hui sans doute, peuvent, comprendre que, dans notre politique, nous avons toujours été inspiré, au fond du cœur, par un vif amour de notre peuple. »

Telles furent les dernières paroles, novissima verba, de l’empereur mourant. Que le vaincu représente comme un acte de clémence et de tendresse envers les barbares le traité qui lui a été imposé sous le feu des canons anglais, libre à lui : nous n’aurons garde de faire le procès à cette innocente hyperbole du style chinois ; mais le soin avec lequel l’empereur dissimule, sous le mensonge de phrases, la triste réalité des faits, l’explication ou plutôt l’excuse du traité signé à Nankin, en un mot, tout le passage que nous venons de citer n’indique-t-il pas les luttes que, depuis sept ans, Tao-kwang avait dû soutenir contre les derniers partisans de la politique nationale en faveur de cette politique nouvelle dont il comprenait la nécessité, et qui pourtant lui inspirait de si cruels remords ? Même à cette heure suprême où la vérité s’échappe des lèvres les plus orgueilleuses, l’empereur n’osait donner complètement raison au parti impopulaire qui avait fait prévaloir les conseils de la paix : il se repentait presque, il eût craint peut-être de ne pas mourir en empereur chinois, s’il se fût avoué à lui-même, s’il eût avoué à son peuple qu’il avait consacré la violation du territoire et accueilli les barbares sur le sol de l’Empire Céleste.

L’avènement d’un jeune empereur, Y-shing, devait donc encore jeter quelque incertitude sur l’avenir des relations avec les étrangers. Cette transmission de couronne,qui nous a trouvés si indifférens, pouvait, à l’extrémité de l’Asie, remettre toutes choses en question, arrêter un immense commerce, et, ranimant une querelle à peine éteinte, influer indirectement, mais par une diversion très naturelle, sur le rôle souvent trop actif de la politique anglaise en Europe. On affirmait déjà que Ky-ing, le signataire des traités européens, était tombé en disgrace, que les sabres tartares allaient de nouveau sortir du fourreau, que l’empereur Y-shing n’acceptait pas l’héritage de la tendresse que Tao-kwang avait accordée aux barbares. Heureusement pour tous les intérêts, pour la Chine comme pour l’Europe, la politique de la cour de Pékin a gardé son attitude pacifique, et tout porte à croire que le parti de Ky-ing est demeuré prépondérant.

Comment en effet l’ancien vice-roi de Canton n’aurait-il pas conquis sur ses collègues du cabinet impérial l’autorité que donnent la longue pratique des affaires et le souvenir encore vivant de tant de services rendus ? Depuis huit ans, depuis que la politique extérieure de la Chine doit avoir les yeux ouverts non-seulement sur les pauvres fous qui habitent au-delà des frontières occidentales, suivant l’expression dédaigneuse du testament de Tao-kwang, mais encore sur les barbares venus des pays lointains, Ky-ing n’a pas cessé un seul instant, dans ses correspondances et par ses paroles de modérer les impatiens et de raconter aux plus incrédules l’impression à la fois étonnée et craintive qu’avaient laissée dans son esprit ses fréquentes entrevues avec les Européens. Quel homme pouvait mieux que lui connaître la vérité et la dire ? J’ai assisté, sur la corvette à