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ville, que les armateurs d’un port s’entendent pour mettre en commun l’emploi de leurs capitaux, de leurs marchandises, de leurs navires : circonscrites dans de telles limites, ces coalitions d’intérêts s’administrant eux-mêmes sous la protection morale, mais non avec l’appui matériel et pécuniaire du gouvernement, présenteraient de sérieuses chances de réussite, parce qu’elles fonctionneraient avec l’économie qui préside d’ordinaire à la gestion des spéculations privées. Les Anglais d’ailleurs et les Américains n’agissent plus autrement. À la compagnie des Indes, qui a perdu, en 1834, ses anciens privilèges, se sont substituées de nombreuses maisons de commerce, puissantes par l’accumulation des capitaux, par la répartition des comptoirs ou succursales, et surtout par la persévérance alliée à ’l’esprit d’entreprise.

Il est pénible de se trouver constamment en face de cet écrasant parallèle et de dénoncera le rôle subalterne auquel la France semble se résigner dans cette grande lutte commerciale dont l’Asie est devenue le théâtre. Il y aurait péril à fermer plus long-temps les yeux sur une telle situation, et maladresse coupable à perdre, de gaieté de cœur ou par oubli des intérêts lointains, l’influence que la France, en Chine comme ailleurs, doit étendre ou tout au moins conserver.


III

Nous pourrions cependant, pour notre politique et notre commerce, imiter la conduite, à la fois prudente et intrépide, des missions catholiques, qui depuis plus de deux cents ans ont tenté de si nobles efforts pour la cause de la religion. Tour à tour protégés et proscrits, honorés et persécutés, appelés un jour aux dignités de la cour impériale pour être le lendemain jetés dans les cachots ou conduits au supplice, les missionnaires ont poursuivi leur glorieuse tâche sans se laisser un seul moment exalter par les perspectives d’une faveur passagère ou abattre par les coups des plus redoutables persécutions. Tous les peuples catholiques de l’Europe, — Français, Espagnols ; Italiens Portugais - toutes les congrégations, — lazaristes, dominicains, franciscains, jésuites, — se sont ligués dans cette lointaine croisade, pour prendre l’Asie à revers et, conquérir à la domination spirituelle de Rome la plus antique, la plus civilisée, mais aussi la plus corrompue des nations asiatiques. Aujourd’hui la Chine est découpée en évêchés ou vicariats apostoliques, où les nouveaux apôtres se sont partagé le rude labeur de la conversion. Les progrès sont lents, mais cette lenteur n’a point lassé l’espérance ; la foi n’avance que par degrés presque insensibles, mais elle ne recule jamais. Dieu seul sait combien il faudra encore d’années et de siècles, de dévouemens et de martyres pour que la conquête soit accomplie.

La France a de tout temps tenu à honneur de figurer, au premier rang des nations chrétiennes : en Chine, elle n’a point faillit aux devoirs que lui imposent ses traditions et que lui conseillerait au besoin sa politique Que ce soit du moins une compensation du rang inférieur qui nous est échu dans l’ordre des intérêts matériels, et si nous sommes forcés de reconnaître à quel point l’Angleterre et les États-Unis nous effacent par l’extension toujours croissante de leur commerce et de leur navigation, nous pouvons aussi nous enorgueillir