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et notre diplomatie pouvait se féliciter du résultat qu’elle venait de conquérir après tant d’efforts. Cependant le document officiel ne définissait pas encore assez nettement, au gré du plénipotentiaire français, les libertés que réclamait l’intérêt religieux. Les négociations furent reprises : chaque liberté, chaque droit fut discuté de nouveau avec une insistance qui attestait, d’une part, le vif désir de briser à jamais et d’un seul coup les derniers obstacles ; — d’autre part la crainte de trop céder à l’influence étrangère. Enfin, après un mois de pourparlers, on parvint à s’entendre sur une rédaction plus explicite, qui consacre la liberté du culte catholique dans le Céleste Empire. Nous nous bornerons à citer le passage le plus remarquable de ce document curieux et peu connu : «… Bien qu’en général ce soit de l’essence de la religion du Seigneur du ciel de conseiller la vertu et de défendre le vice, je n’ai cependant pas clairement établi dans ma dépêche antérieure en quoi consistait la pratique vertueuse de cette religion, et, craignant que dans les différentes provinces on ne rencontre des difficultés sur ce point d’administration, j’examine maintenant la religion du seigneur du ciel, et je trouve que s’assembler à certaines époques, adorer le Seigneur du ciel, vénérer la croix, et les images, lire des livres pieux, sont autant de règles propres à cette religion, tellement que, sans elles, on ne peut pas dire que ce soit la religion du Seigneur du ciel. Par conséquent sont désormais exempts de toute culpabilité ceux qui s’assemblent pour adorer la religion du Seigneur du ciel, vénérer la croix et les images, lire des livres pieux et prêcher la doctrine qui exhorte à la vertu ; car ce sont là des pratiques propres à l’exercice vertueux de cette religion qu’on ne doit en aucune façon prohiber, et, s’il en est qui veuillent ériger des lieux d’adoration du Seigneur du ciel pour s’y assembler, adorer les images et exhorter au bien, ils le peuvent ainsi suivant leur bon plaisir. »

Cette proclamation ne laisse subsister aucune équivoque : elle nous est acquise. Dans la lutte engagée, au nom de la liberté des cultes, contre les préjugés traditionnels du Céleste Empire, à nous seuls revient l’honneur de l’initiative et du succès, et, malgré le penchant de notre siècle à ne respecter, à n’admirer que les conquêtes de la force, nous pouvons, avec quelque fierté, placer cette victoire toute morale en parallèle avec le triomphe remporté par les canons anglais sous les murs de Nankin. Aussi l’Angleterre n’a-t-elle pas vu sans une émotion jalouse la publication du document émané du pinceau de Ky-ing. Après avoir ouvert la Chine au commerce étranger et obtenu, pour les cinq ports inscrits au traité de 1842, le libre exercice du culte chrétien, elle pensait avoir atteint, dépassé même la mesure des concessions, et elle se flattait de ne plus rien laisser à faire aux nations qui viendraient après elle. Ne soyons pas injustes pour Ie grand acte qu’elle a accompli : c’est l’Angleterre qui a porté aux préjugés chinois le coup décisif, elle a rendu à la civilisation, à la religion, à l’humanité un éclatant service ; mais son succès ne doit point effacer le nôtre.

Il convient désormais que la proclamation de Ky-ing ne demeure pas lettre morte. En la provoquant, nous avons pris envers les missions catholiques et envers nous-mêmes l’engagement d’en surveiller la stricte exécution, et il ne faut pas nous dissimuler que nous pourrons, dans l’exercice de cette surveillance, rencontrer parfois de graves embarras. La législation et surtout les