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adversaires jette ou relève un nouveau défi. On s’indigne de n’avoir rien de mieux à faire, dans un pareil démêlé, que d’attendre les bras croisés qu’il plaise à l’un ou à l’autre des deux rivaux de céder son tour de représailles, et il se pourrait bien ainsi que celui-là gagnât la partie, non pas qui aurait le dernier, comme on dit vulgairement, mais qui le laisserait prendre.

Le président a-t-il eu cette opportune sagesse en acceptant, comme il l’a fait le vote dirigé contre lui par la majorité parlementaire ? Nous aimons à le croire, et c’est ainsi que nous voulons comprendre la note officielle insérée au Moniteur. Toute démonstration du genre de celle que le Moniteur indique, sollicitée, provoquée dans les masses, n’irait à rien de moins qu’à infirmer l’acte légal d’un pouvoir établi par un appel irrégulier directement adressé, au vagues et confuses puissances du peuple souverain. Il n’y a déjà que trop de penchant partout à élever au-dessus de la loi positive ces puissances plus ou moins mystérieuses, qui sont toujours au service des révolutions ou des dictatures. C’est un penchant qu’il ne faut pas encourager, quand on a l’honneur d’être soi-même le premier agent, le premier exécuteur de la loi ; c’est une marque de bon sens et de saine politique chez le président de n’avoir point permis qu’on protestât contre le vote parlementaire. En une tentative aussi compromettante, échouer était sans doute un inconvénient grave, mais réussir était pire encore, parce que le succès portait un coup de plus au principe d’autorité et le démoralisait davantage.

Aussi regrettons-nous un mot dans cette note, dont l’intention est louable ; nous regrettons que l’auteur ne se soit pas refusé le plaisir dédaigneux d’y écrire que « le peuple lui rendait justice. » De quel peuple s’agit-il ? Qu’est-ce que ce peuple évoqué pour ainsi dire contre la représentation nationale ? Si le cabinet n’avait fort à propos déclaré, en son nom et au nom du gouvernement tout entier, que la loi du 31 mai est et demeure applicable à l’élection présidentielle comme aux autres, il serait trop facile de supposer que cette phraséologie du Moniteur implique la secrète pensée d’un recours au peuple-roi tel que le proclame le suffrage universel. Ce peuple-là aurait à nos yeux le très-funeste inconvénient d’être un appui fort suspect pour un essai quelconque de restauration sociale, puisqu’il est en même temps l’appui qu’invoquent avec le plus de confiance tous les promoteurs de la démagogie socialiste. Celle-ci travaille toujours pendant que nous nous disputons. Elle tend ses réseaux à travers l’Europe, elle ouvre ses chaires à Londres, elle y annonce ses solennités oecuméniques, elle y va célébrer l’anniversaire de février par un banquet où l’on doit boire à l’extermination de l’intelligence aussi bien qu’à celle du capital. Nous avons même eu l’occasion de la voir monter en chair et en os à la tribune de l’assemblée nationale, dans la personne du citoyen Nadaud. Trois jours durant, à propos du rapport de M Lefèvre-Duruflé sur la grande enquête ordonnée par la constituante, l’assemblée législative a débattu la question de savoir comment on pouvait améliorer l’existence matérielle des classes ouvrières. M. Nadaud a plaidé la cause des associations égalitaires de manière à faire prendre en horreur jusqu’à l’ombre d’une innovation libérale. Ce n’est pas nous pourtant qui voudrions conseiller de répondre par une immobilité absolue à ces prétentions insensées. Le meilleur remède à la folie de ceux qui veulent tout bouleverser, c’est la vigilance de ceux qui espèrent