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Bornée à de frivoles distinctions de cour, la vie de Claude n’aurait pas été plus glorieuse que celle de ces princes, si dans ce cadet de Lorraine, dans cet aventurier de bonne maison, l’avenir n’avait pas préparé le plus heureux capitaine de son siècle et peut-être le plus grand esprit de sa race. Nul doute qu’il n’en fût le plus habile : seul de tous les Guise, il ne laissa jamais échapper l’occasion ; seul, il ne manqua jamais à sa fortune, qu’il sut gouverner et circonscrire. Il la prépara et traça la route à tous ses descendans en identifiant ses intérêts avec ceux de l’église : pensée audacieuse, presque sacrilège, qui compromettait une cause sainte en l’assujétissant à des vues particulières, mais conception puissante, soutenue par une invincible énergie et par une passion sincère. Dans le cœur de Claude de Lorraine brûlait une aversion profonde des novateurs, un vif attachement à l’ancienne foi, un désir ardent de laver ses outrages dans le sang de ses ennemis, de les guerroyer sans relâche et sans pitié. Progrès ou défaite, triomphe ou martyre, il s’associa avec tous les siens aux chances du catholicisme. Les Guise en devinrent les Machabées.

La mère de Claude l’avait élevé dans ce dessein. Philippe de Gueldres avait été la seconde femme de René II, duc de Lorraine. Veuve, comblée d’honneurs et de richesses, entourée d’une postérité nombreuse, elle s’était retirée du monde dans un cloître, et avait fait profession devant ses sept enfans. M. de Bouillé raconte de la manière la plus intéressante cette scène, qui dut laisser une trace si profonde dans l’imagination et dans la mémoire du premier Guise. « La duchesse entra précédée de son jeune fils, âgé de douze ans ; il fondait en larmes en lui portant le cierge. Après la cérémonie, les princes, les princesses et les personnages présens s’avancèrent près de la grille du chœur, pour recevoir, agenouillés et baignés de larmes, la bénédiction de Philippe, qui disait ainsi au monde un adieu spontané, et définitif. Dans cet austère asile, où elle devait terminer ses jours en opinion de sainteté à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, son humilité fut constamment telle que, soumise à toutes les obligations de son ordre, portant les mêmes vêtemens, vivant de la même nourriture que les autres religieuses, elle signait ses lettres à ses supérieures : « Votre pauvre fille et sujette sœur Philippe, humble servante de Jésus, pauvre ver de terre. »

Dans ces temps d’action, l’humilité la plus vraie, la plus sincère, n’affaiblissait pas la fermeté, n’éteignait pas l’ardeur d’un cœur héroïque. Puisée à la même source, la résolution de Philippe de Gueldres n’avait pourtant rien de commun avec celle qui naguère conduisit Jeanne de France du palais des rois au fond d’un monastère. Aimante et dédaignée, Jeanne avait essayé de guérir dans l’ombre et dans la solitude la blessure d’une ame tendre. Philippe, au contraire, y était descendue des hauteurs de la maternité et de la puissance. Elle n’y