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plus l’empire, mais la liberté, qui ne réclament plus le privilège, mais exigent le droit commun.

Les deux factions ennemies étaient donc devenues décidément implacables ; Coligny avait hautement désavoué le prince de Condé ; les catholiques comme les huguenots taxaient de sacrilège l’édit d’Ambois (mars 1563) ; les huguenots s’appuyaient sur l’Angleterre, les catholiques sur les Espagnols ; il fallait choisir. Sans se prononcer ouvertement, la reine n’hésita plus ; elle se tourna du côté de l’Espagne, et demanda une entrevue à Philippe II. D. Felipe el discreto craignait sa rivale en machiavélisme ; il était trop prudent pour se mesurer en personne à une si rude jouteuse. Il envoya à sa place la reine Elisabeth, sa femme, fille de Catherine de Médicis. Enfermé dans son Escurial, où il tenait comme un escamoteur adroit, tous les fils de la politique européenne, Philippe alliait délicieusement la paresse du corps à l’activité de l’esprit, et produisait le mouvement européen du fond de sa cellule, tout en y goûtant lui-même un égoïste et profond repos.

C’est à ces conférences de Bayonne, où Philippe II se fit représenter par le duc d’Albe, qu’on rapporte communément la première idée de la Saint-Barthélemy. En admettant qu’elle y fut proposée, ce ne peut avoir été que d’une manière très vague, très éventuelle, et, pour parler le langage d’aujourd’hui, seulement en principe. C’est un grand problème, resté encore sans solution, que de savoir si le signal de cet attentat public est parti subitement, ou s’i a été préparé par une atroce et savante préméditation. Un tel examen m’a toujours semblé superflu. La Saint-Barthélemy n’a pu être et n’a été, en effet, ni absolument spontanée, ni tramée long-temps d’avance. La pensée première d’un massacre des huguenots a dû souvent se reproduire ; dans un siècle machiavéliste, on a dû la présenter plus d’une fois, comme une excellente recette politique. L’aristocratie française ne prit aucune part à cette tragédie. « Notre noblesse ne veut point frapper les hérétiques, s’écriait Vigor, évêque de Xaintes ; n’est-ce pas une grande cruauté, disent-ils, de tirer le couteau contre son oncle, contre son frère ?… Je dis que parce que tu ne vas frapper les huguenots, tu n’as pas de religion. Aussi quelque jour, Dieu en fera justice et permettra que cette bâtarde noblesse soit accablée par la commune. Je ne dis pas qu’on le fasse, mais que Dieu le permettra[1]. » Le président de Thou assure qu’un autre évêque, nommé Sorbins, avait dit en pleine chaire que « si le roi Charles IX ne voulait user du glaive contre les hérétiques, il fallait l’enfermer dans un couvent[2]. » On trouve aux archives de Simancas des indications d’une mesure générale semblable à celle qui fut prise le 24 août 1592. Les souvenirs des vêpres siciliennes étaient,

  1. Vigor, Serm. t. II, p. 25 (1587).
  2. Thuani, t. X, l. IV.