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lorrains sacrifiaient nécessairement à leur intérêt les intérêts permanens de la France. L’état où ils l’ont trouvée est la seule justification ou du moins la seule explication de leur entreprise. Du discrédit personnel de Henri III, d’autant plus avili que la nature l’avait plus richement doué, il était difficile de ne pas conclure à sa déchéance. Il y avait un tel contraste entre l’homme qui portait la couronne et ceux qui y étaient appelés par un parti nombreux il y avait une différence si frappante entre Henri de Valois et Henri de Lorraine, que celui-ci n’aurait pu résister à la tentation que par un effort d’héroïsme. On rencontre quelquefois dans la vie politique des situations tellement trompeuses, des apparences si décevantes, que l’illusion devient pour ainsi dire inévitable. Le génie pourrait seul y échapper ; mais le génie n’est pas un héritage, il ne se reproduit pas. Les Guise se laissèrent enivrer par les acclamations populaires, devenues si bruyantes qu’ils devaient en effet les croire universelles. À la vue de l’enthousiasme public saluant un droit nouveau, ils devaient croire à sa légitimité et à l’anéantissement du droit ancien. D’ailleurs ils furent conduits jusqu’à leur ambition suprême graduellement, successivement, pas à pas. Une tentative en engendre une autre ; les déceptions même irritent la convoitise. De leurs prétentions au comté de Provence dérivèrent leurs prétentions à la couronne de Naples, du droit de commander l’armée celui de gouverner l’état. De l’opposition sortit la ligue, et de la royauté de Paris la royauté de la France.

Quel que soit l’éclat qui s’attache au nom des Guise, il y a quelque chose qui les empêche d’être tout-à-fait de grands hommes. La fortune leur a manqué sans doute, mais bien moins souvent qu’eux-mêmes n’ont manqué à la fortune. On admire la hauteur, la finesse, même la justesse de leur pensée dans la conception d’un projet ; on applaudit à la fermeté, à la sûreté de leur marche dans l’accomplissement de leur dessein ; ils ne reculent devant aucun obstacle, devant aucun péril ; ils n’ont rien oublié, ils ont tout prévu, jusqu’à l’instant où il faut étendre la main pour prendre la proie si long-temps et si passionnément guettée. Tant qu’ils ont devant eux des années, des semaines, des jours, on ne les trouve jamais en défaut ; mais aussi le jour, la seconde, la minute, le seul jour, la seule minute qui leur reste pour agir, leur vue se trouble, leur courage s’étonne, l’occasion leur échappe : ils frappent tous les coups, excepté le dernier.

Et qu’on n’attribue pas au hasard ce mécompte perpétuel, cet incroyable guignon, si on ose se servir d’un tel terme à propos de choses si hautes ; qu’on ne le mette pas uniquement sur le compte de la destinée ; qu’on n’en accuse pas la mort inopinée de François II, le pistolet de Poltrot ou le poignard des quarante-cinq. Le poignard ne change rien à leur destinée ; ils suivent toujours et ne précèdent jamais les crises :