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l’argent ne donne pas le bonheur, il l’aide ; or, tous les écoliers savent très bien qu’on aide une personne et qu’on aide à une chose. Ailleurs, il fait dire à une femme parlant de son amant : Tu vois que je le reçois d’une froideur extrême. Où et quand s’est-on jamais servi d’une pareille locution ? Dans le Joueur de flûte, nous entendons Chalcidias dire qu’il a exercé le luxe et l’insolence : n’est-ce pas, aux yeux mêmes des humanistes les plus complaisans, un néologisme par trop excentrique ? Dans une autre scène du même ouvrage, nous entendons parler d’un temple d’asile. Jusqu’à présent, nous connaissions l’asile des temples, le caractère inviolable des lieux consacrés au culte de la divinité ; le renversement inattendu de la locution usitée n’offre pas à l’esprit un sens facile à saisir. Je ne crois pas inutile de relever ces fautes purement grammaticales ; car, si la connaissance complète et la pratique assidue des lois de la langue ne sont pas les seuls fondemens d’un style élégant et pur, il est certain du moins qu’il n’y a pas de style châtié, de style vraiment élégant, sans la connaissance et la pratique des lois de la langue. Quelque dédain qu’on éprouve pour la forme et l’arrangement des mots, il ne faut jamais oublier la réponse d’un père de l’église consulté sur l’opportunité des études grammaticales. On lui demandait si la foi permettait ces études profanes ; il répondit avec sagacité : « La foi ne proscrit pas de pareilles études, car elles sont souverainement utiles, ne fût-ce que pour s’entendre sur les matières de la foi. » Eh bien ! ce qui est vrai dans l’ordre théologique n’est pas moins vrai dans l’ordre littéraire. Si la langue, envisagée dans ses lois fondamentales, n’est pas le style tout entier, le style a pourtant pour condition première le respect des lois de la langue. M. Augier écrit en vers d’une façon abondante et spontanée ; le rhythme et la rime lui obéissent sans se faire prier : il ne faut pas qu’il se laisse abuser par l’abondance et la spontanéité du langage au point de ne pas revoir, de ne pas modifier, de ne pas corriger les paroles inexactes, les images obscures, les locutions vicieuses que cinquante auditeurs tout au plus peuvent remarquer, parce qu’ils ont l’oreille exercée, mais qui cependant, à l’insu même de ceux qui ne sont pas capables d’en tenir compte, jettent dans la trame du dialogue une fâcheuse obscurité. S’il n’y a pas, de petites économies lorsqu’il s’agit de s’enrichir, il n’y a jamais non plus de scrupules puérils lorsqu’il s’agit d’écrire ; la valeur et l’arrangement des mots jouent un rôle si important dans la révélation de la pensée, qu’on ne saurait les peser trop attentivement, les trier avec trop de soin, avant de les mettre en œuvre.

M. Augier ne paraît pas comprendre l’importance de l’unité dans le style ; il semble se complaire dans la perpétuelle opposition de l’élégance et de l ’ vulgarité. Séduit par la lecture assidue des Femmes savantes et d’Amphitryon, il oublie ou il néglige complètement le