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supportée avec une piété, avec une résignation, une patience qui arrachent un mot de tardive sympathie à l’indifférence, à la sécheresse de Mme de Maintenon elle-même. « La pauvre Mme de Mantoue se meurt, avait-elle mandé à Mme des Ursins ; je la plains moins que Mme sa mère. Toute notre cour est en parfaite santé. »

Ainsi finit cette jeune femme. Elle emporta peut-être dans la tombe un tendre et douloureux secret, qui semble palpiter sous l’âpre et dur langage de Saint-Simon… Suzanne de Lorraine, duchesse de Mantoue, mourut avant d’avoir accompli sa vingt-quatrième année.

Dans le XVIIIe siècle, la destinée des princes de la maison de Lorraine fut moins dramatique. À la veille de la révolution, leur existence s’écoula facile et légère, comme celle de toute l’aristocratie française, dont ils ne songeaient plus à se séparer. La manie de trôner leur avait passé ; ils n’avaient alors d’autre ambition que de vivre agréablement à Versailles ou à Montjeu. Le nom de ce château, situé près d’Autun, se rattache aux souvenirs de la jeunesse de Voltaire. Il y habita quelque temps. Protégé de la maison de Lorraine, il en devint à son tour le protecteur. Ce fut Voltaire qui eut l’idée de marier la fille du prince de Guise à Richelieu, son ami. Il conduisit cette négociation avec toute la patience, toute l’exactitude d’un homme d’affaires[1]. En outre, il prêta au nécessiteux Lorrain de l’argent qui ne lui fut jamais rendu ; aussi prit-il avec tous ces Guise dégénérés un ton de familiarité dont le duc Francois et le Balafré lui-même, tout populaire qu’il était, n’auraient pas laissé de se montrer un peu surpris. Voltaire outrepassait, il faut en convenir, les droits d’un officieux négociateur de mariage et ceux d’un créancier bénévole. Conçoit-on, par exemple, qu’il ait osé adresser les vers suivans à la duchesse de Richelieu, à la propre fille du prince de Guise ?

Plus mon œil étonné vous suit et vous observe,
Et plus vous ravissez mes esprits éperdus ;
Avec les yeux noirs de Vénus,
Vous avez l’esprit de Minerve…
Mais Minerve et Vénus ont reçu des avis,
Il faut bien que je vous en donne,
Ne parlez désormais de vous qu’à vos amis,
Et de votre père à personne[2] !

On pouvait parler de Mme de Richelieu à tout le monde. Sa réputation fut toujours intacte ; mais il n’en était pas tout-à-fait ainsi de la

  1. Correspondance, édition Renouard, t. XLVI, p. 362.
  2. Voyez aussi les jolis vers qui commencent par Guise des plus beaux dons l’assemblage céleste, et vous possédez fort inutilement ; mais surtout l’épître charmante : Un prêtre, un oui, trois mots Latins.