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de l’endroit où ils étaient nés. L’établissement des nouveaux époux était à la charge de la commune. Le peuple était divisé par décuries et centuries, surveillées par de véritables chefs d’ateliers appelés à diriger et à hâter le travail de leurs administrés. Les veuves et les orphelins, les familles des soldats absens, avaient également leur part des fruits du travail de la communauté. Cent mille Indiens étaient annuellement occupés à la construction des monumens publics ; la communauté labourait leur portion de terre et récoltait pour eux et leur famille. Les vieillards, les infirmes, les femmes, les enfans étaient tous employés à un travail quelconque pour le bénéfice de la communauté : ils filaient, et tissaient les étoffes de laine et de coton, fabriquaient les bois de lance et les frondes qui leur servaient d’armes. Il résultait de cette distribution du travail et de l’impossibilité de travailler pour soi une absence complète de toute émulation. Il en résultait aussi que l’hérédité des biens n’était pas possible, excepté pour les fils, des curacas, qui héritaient du droit qu’avait leur père de prélever une portion plus considérable sur les produits de la communauté.

Le peuple restait donc stationnaire, et les hautes classes, qui seules pouvaient faire avancer la civilisation, manquant d’idées morales et de principes de justice, exploitaient les masses à leur profit. Quand au jour de la conquête Pizarre se fut débarrassé du chef de cette fourmilière, la machine politique ne put fonctionner plus long-temps, et tous ces hommes accoururent éperdus s’agenouiller autour des Espagnols pour qu’ils leur donnassent des lois et un dieu. Telle fut la fin de cette étrange civilisation péruvienne, dont le Cusco garde encore aujourd’hui l’irrécusable et profonde empreinte.

Cusco ou mieux Coscco, en langue quichoise, signifie nombril. Cette ville était pour les Péruviens le nombril,[1] le centre du monde ; c’était la cité sainte, la cité impériale, la cité des temples et des palais. Les Espagnols furent émerveillés de la grandeur et de l’élégance des constructions de cette ville ; la possession de ses palais excita la jalousie, et il s’ensuivit des luttes acharnées, auxquelles Pizarre ne put mettre un terme qu’en se faisant proclamer par Charles-Quint le seul adelantado des pays qu’il découvrirait. Une fois seul maître du Pérou, Pizarre en distribua les édifices, les terres et les habitans aux Espagnols. C’est ainsi que les palais du Cusco changèrent de possesseurs. Le premier soin des nouveaux propriétaires fut de badigeonner de chaux les murailles, admirablement construites en pierre de taille, de percer partout

  1. Il est assez curieux de remarquer ici que les Grecs, dont les connaissances géographiques étaient incomplètes, nommaient Delphes le nombril du monde, et Cicéron appelle Enna, ville située au centre de la Sicile, près de l’endroit où fut énlevée Proserpine, le nombril de l’île (umbilicus Sicilioe). — Les Chinois regardent leur empire comme le centre, le nombril du monde.