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où les revendeurs de toute sorte étalent également leurs marchandises. Je voyais les troupes de llamas se faire jour à travers les Indiens accroupis et leurs étalages sans rien briser. Au fond de la place, des recrues por la patria qui faisaient l’exercice, qu’on leur enseignait à coups de cravache, complétaient ce tableau péruvien.

Les deux premiers jours de mon arrivée, je reçus plusieurs visites que je me hâtai de rendre ; mon hôte voulut bien me servir de cicerone et d’introducteur auprès des personnes qui étaient venues me voir, ou m’avaient envoyé dire que leur maison était à ma disposition. Il n’y eut pas le moindre mot pour rire dans ces présentations. Les femmes étaient enveloppées dans un énorme châle de laine pour se garantir du froid : , et les hommes boutonnés hermétiquement dans leurs habits noirs. « ..Gardez donc, votre manteau,… »…me disait-on. Je ne me faisais pas prier, et je restais bel et bien empaqueté sur ma chaise comme un ballot de marchandises chiffonnées. Les hommes étaient polis et me prodiguaient des offres de service ; c’étaient pour la plupart des gens graves par leur âge ou par la carrière qu’ils suivaient, et leur conversation avait de l’intérêt pour moi. L’histoire de leur pays, de ses premiers habitans et de leurs coutumes, était très présente à leur esprit. Ils aimaient à causer sur ce sujet, et ils m’apprirent une foule de détails de la vie intime des anciens Péruviens, et surtout de la famille des Incas. Le parti américain, parmi lequel il existe bien peu de gens qui n’aient dans les veines un peu de sang indien, conserve pour l’ancienne dynastie péruvienne un souvenir aussi affectueux et aussi vif que si deux ou trois générations seulement s’étaient écoulées depuis la conquête. Il y a vingt ans, reprocher à un Espagnol américain sa parenté avec la race péruvienne, c’était lui faire une injure, vengée souvent par le duel ou par l’assassinat. Aujourd’hui, les habitans espagnols du Cusco avouent la chose très nettement et quelques-uns avec une sorte d’orgueil. Il est dans le cœur humain de vouloir se rattacher à quelque souvenir ancien et honorable, et cette réaction en faveur du passé est la conséquence de la dernière guerre contre des fils des conquérans. Dieu veuille que ce bon sentiment prenne consistance et produise quelque amélioration dans le sort de la malheureuse race indienne !

Les Péruviens se préoccupent beaucoup aussi des événemens de Europe ; nos révolutions pacifiques surtout sont pour eux un objet d’étonnement : « Voyez, me disait-on, notre guerre civile pour l’indépendance, elle a été atroce : après la bataille, les prisonniers étaient rangés sur une file, bénis en masse par un seul prêtre, et puis après sabrés par la cavalerie, parce que la poudre était rare… Les Espagnols commencèrent cette guerre à mort, et ils furent bientôt obligés d’y renoncer, parce que nous trouvions toujours des ressources pour combler les