Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/905

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

genre de combustible, est-on obligé de ne mettre sur le feu que des vases soigneusement recouverts. Adieu donc au roastbeef, aux côtelettes, aux rôtis de toute qualité ! Les mets apportés sur la table nagent dans des sauces chargées de beurre, de graisse ou de lait, relevées par des clous de girofle, des morceaux de cannelle, et surtout une profusion de piment à laquelle on est quelque temps à s’habituer. Le vin que l’on boit est de deux qualités : le vin sec est fort et capiteux comme nos vins du Rhône ; le vin doux ressemble aux vins d’Espagne, et plus encore au lacryma-christi commun de Naples. Il se fait à Moquégua et dans les autres vallées de la côte, et de là on renvoie à la sierra dans des outres en peau de bouc. L’eau-de-vie est la principale industrie de ces vallées : portée dans des jarres de terre intérieurement, vernies parce qu’elle filtre à travers les outres, elle se vend au Cusco, dans les villes et villages de la sierra, de 2 à 4 réaux la bouteille ; selon l’abondance de ce produit sur la place et la difficulté du transport. L’on boit beaucoup d’eau-de-vie dans la sierra, les Indiens avec passion, les blancs et chiollos avec un plaisir très marqué. — Les réunions pour les fêtes ou anniversaires se composent rarement de plus de vingt à trente personnes, hommes et femmes. Le commencement de la soirée est d’une gravité extrême ; les femmes restent enveloppées dans leur châle de bayeta les hommes roulés dans leur manteau. Bientôt arrive el punche, sambaion mousseux composé d’eau-de-vie, de blancs d’œufs et de sucre. Vous offrez et l’on vous offre un verre de punch ; mais ce n’est pas ici comme à Aréquipa, où il suffit de mouiller ses lèvres dans le verre pour répondre à la politesse. Dans la sierra, vous n’en êtes pas quitte à si bon marché ; il faut avaler le verre entier, et littéralement on ne vous lâche pas qu’il ne soit vidé. Il en résulte que le sérieux du commencement de la soirée disparaît insensiblement ; les châles et les manteaux sont jetés de côté, bientôt les spectateurs chantent le stribillo (refrain) de la danse, en accompagnant la mesure de leurs battemens de mains ; peu à peu ces battemens deviennent plus vifs, les mouvemens des danseurs plus accentués, et il ne faut pas long-temps pour que les acteurs novices soient dans un parfait état de gaieté.

Comme ceux de la Paz et autres villes des Cordilières, les habitans du Cusco n’aiment pas les habitans de la côte, et professent pour eux un dédain que ceux-ci leur rendent avec usure. Les montagnards disent que les Liméniens et les Aréquipéniens sont des esprits légers, qui renient hautement leurs coutumes nationales pour adopter sans les comprendre et copier à faux les coutumes des étrangers ; les derniers traite les montagnards de gens rudes et insociables, encroûtés dans leurs habitudes vulgaires, repoussant par jalousie et par amour-propre les bonnes innovations venues d’Europe. Ils se moquent surtout de leur façon de traîner les mots en parlant et des nombreuses expressions familières