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la description des palmiers et des orangers qui ombragent les jardins de la ville du Soleil. Un beau jour après dîner, « l’inca promène Alonzo sur les bords rians du lac de Titicaca, et ils rentrent dans Cusco au coucher du soleil. » C’est cent soixante lieues de pays qu’il lui fait parcourir en quelques heures. Les Lettres péruviennes de Mme de Graffigny me sont également tombées entre les mains. « Aza, cher Aza, dit la jeune vierge, ta Zélia a conservé ses quipos… » comme si un quipo eût été une écritoire ! Les Péruviens ne connaissaient pas l’alphabet. Le quipo était un moyen arithmétique de marquer la quantité de tel ou tel objet de convention. Le quipo était une simple corde, avec laquelle on faisait, dans l’ordre du système décimal, des nœuds représentant la valeur des chiffres. Si l’on voulait écrire par exemple le chiffre 1534, on faisait un nœud du côté du quipo, qui indiquait les mille, puis, un double nœud pour séparer cette colonne de la suivante : cinq nœuds pour cinq centaines, plus un double nœud de séparation, quatre nœuds pour quatre unités, etc. Une fois ceci compris, le système de communication des Péruviens par le moyen des quipos devient la chose du monde la plus simple. Chaque cacique avait un quipo d’où pendaient une infinité de quipos de diverses couleurs. Le blanc était pour les veuves, le rouge pour les hommes de son district en état de porter les armes, le noir pour les coupables, et ainsi de suite pour toutes les classifications d’hommes ou de choses. Les bergers des montagnes du Cusco se servent encore aujourd’hui de cette méthode pour compter leurs troupeaux, le nombre de moutons ou de brebis, les naissances et les morts des agneaux, leur couleur, etc. Je me trouvais dans une ferme des montagnes au moment où le berger vint rendre compte de sa surveillance trimestrielle : j’ai eu son quipo entre les mains et me suis fait clairement expliquer le système.

La connaissance des couleurs indiquant les divers objets était une science réservée aux caciques et aux curacas (nobles du pays) ; le peuple n’en savait que ce qui lui était nécessaire pour -les usages de la vie ordinaire. Quant aux hiéroglyphes, je n’en ai pas trouvé trace sur les nombreux monumens que j’ai visités au Cusco. L’on doit croire que les connaissances des Péruviens en statuaire se bornaient aux statues et aux bas-reliefs d’hommes et d’animaux, et encore en trouve-t-on bien rarement. Un habitant du Cusco possède une charmante terre cuite de huit pouces de hauteur représentant un indien endormi et faisant un songe agréable. La tête est parfaite et pleine d’expression ; le corps est lourdement dessiné, les pieds et les mains surtout. L’absence de caractères hiéroglyphiques semblerait indiquer que l’ancienne nation péruvienne n’avait pas, avant la conquête, de relations avec le Mexique ni avec le Yucatan, pays où l’écriture hiéroglyphique était en usage.