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Aujourd’hui, l’éducation des jeunes gens du Cusco est confiée aux soins des religieux de différens ordres. C’est une éducation toute classique où la théologie tient plus de place que la philosophie. L’histoire ancienne, ils la savent comme on la sait dans les séminaires, et ils passent tout le moyen-âge pour arriver à Napoléon et à la guerre d’Espagne, qui sont pour eux le commencement de l’histoire moderne. Les couvens de femmes au Cusco observent encore sévèrement les règles de leur ordre, et n’admettent de visites qu’au parloir. Les grilles sont épaisses et à petits carreaux, la distance est respectueuse ; on ne peut voir la figure des religieuses. Comme à Aréquipa, les familles nobles de ce pays mettent souvent leurs filles au couvent pour accroître la part de fortune du fils aîné.

Pendant que j e passais mes journées au Cusco, tantôt en visites aux habitans, tantôt en tournées dans les rues de la vieille cité, la saison des pluies s’était avancée, elle touchait à son terme ; les routes commençaient de nouveau à être praticables, il fallait reprendre mon voyage vers Lima, la ville des rois, et dire adieu à la ville du Soleil. Quand l’heure du départ fut venue, plusieurs des habitans avec qui j’avais noué des relations pendant mon séjour m’accompagnèrent à une demi-lieue de la ville. Là ils me donnèrent la despedida, c’est-à-dire un déjeuner pendant lequel une demi-douzaine de harpistes et de guitaristes jouaient, à tour de bras et à grands coups de poing frappés sur la caisse des instrumens, des yaravis et des tristes du pays. Tant que dura le carillon, nous pûmes encore rire et causer ; mais avec le dernier grincement des harpes cessa la gaieté factice qui nous animait tous. Alors le chef de la famille au sein de laquelle j’avais reçu l’hospitalité me serra cordialement la main, et sa femme m’embrassa en pleurant ; deux Français, gens de cœur et d’esprit, qui étaient venus chercher fortune en Amérique, et que j’avais rencontrés au Cusco me souhaitèrent un heureux voyage. Quelques momens après, je chevauchais vers les montagnes qui me séparaient du Bas-Pérou.


E. DE LAVANDAIS.