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de couleur, écœuré des débauches de tout genre auxquelles on nous convie l’ascétisme reprendra peut-être faveur : ainsi va le monde en toutes choses.


II

En attendant, c’est toujours aux coloristes qu’appartient la vogue : ils le savent ; c’est pourquoi ils ne se gênent guère et prennent leurs ébats en vrais enfans gâtés qu’ils sont. On les rencontre en foule à tous les pas, dans le débraillé le plus complet. Chaque année en voit éclore de nouveaux ; les anciens tiennent ferme, et ceux-là même qui depuis quelque temps se faisaient plus rares reviennent à la fête. Voici M.Tony Johannot, avec sa touche molle et lustrée, si bien appropriée à la gravure anglaise ; M. Roqueplan, plus ferme, mais en même temps plus tourmenté. La Halte après une chasse au faucon du premier, la Jeune Fille portant des fleurs du second représentent bien leurs manières respectives. Voici encore M. Isabey, si ébouriffé, si papillottant, si tapageur, que, devant son Mariage de Henri I V, on est pris d’un éblouissement pareil à celui que produit l’aspect houleux du bal de l’Opéra ; M. Boulanger, qui se croit toujours aux beaux temps du romantisme et fait danser la Esmeralda au coin d’une Rue de Séville !

Ces allures et ces costumes des coloristes romantiques paraissent maintenant un peu vieillots. Du temps de Notre Dame de Paris, les peintres donnaient beaucoup dans les pourpoints tailladés e les feutres à plumes. Les néo-coloristes exploitent en général plus volontiers la vie des champs, les intérieurs bourgeois et l’orientalisme. Ils montrent aussi une exécution plus franche, moins théâtrale. Entre tous ces rustiques se distinguent M. Chaplin, qui se modèle évidemment sur la Mare-au-Diable et le Champi, bonne école où devrait bien aller M. Courbet. L’exécution de M. Chaplin est en voie de progrès ; son Intérieur (Basse-Auvergne) est mieux étudié que ses précédens tableaux. M. Luminais peint des Bas-Bretons et les prend sur le fait, dans l’exercice de leurs industries. Ses Braconniers sont vigoureusement empâtés, ses Pilleurs de mer forment un tableau curieux et saisissant. On sait que depuis l’origine du monde les Armoricains hospitaliers étaient dans l’habitude, pendant les nuits d’orage, de placer sur la grève un cheval portant au cou une lanterne. La bête, dont un pied était lié boitait et balançait ainsi la lueur perfide, qui, prise du large pour un navire au mouillage, attirait les pilotes entre les récifs. Il n’y a guère plus de trente années que ces pratiques traditionnelles ont à peu près disparu, non par le progrès des mœurs, mais par la vigilance de la gendarmerie. En voyant les Bretons de M. Luminais suspendus aux saillies de rochers et harponnant les dépouilles opimes que