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de nos ancêtres ; son tableau porte donc le cachet de nationalité le plus authentique. Et d’abord, la fontaine où vient puiser de l’eau Rébecca et ses suivantes n’est point telle que la concevait un Occidental du XVIIe siècle, qui n’avait jamais été plus loin que Rome, c’est-à-dire un simple puits à margelle surmonté d’une poulie : c’est une vaste citerne à l’ombre d’un bouquet de pins, où l’on descend par de larges gradins en pierre ; des esclaves demi-nus y emplissent des urnes canopéennes et les chargent sur leur tête. Pendant ce temps, Rébecca, vêtue de longues draperies blanches et accompagnée de ses suivantes, ainsi qu’il convient à la fille d’un cheikh du désert, accueille à quelque pas de là le serviteur d’Abraham, qui s’incline profondément de devant elle en croisant les bras sur sa poitrine. Sur l’arrière plan, à l’entrée de la ville, sont les chameaux d’Éliezer. Pour donner de la distinction à la figure de Rebecca, M. Decamps, l’a faite un peu trop maigre. Dans le groupe des trois jeunes filles qui la suivent, il en est deux, vues de profil, l’une vêtue de rouge, l’autre de bleu, qui sont vraiment de délicieuses petites statues antiques. La troisième, en voile blanc, qui fait face au spectateur, est moins heureusement réussie. L’arrangement de sa.tête lui donne, je ne sais comment, un petit air poudré et Pompadour. Parmi les esclaves vigoureusement peintes et dessinées dans un pur sentiment égyptien, une seule est à refaire ou seulement à recoiffer, c’est celle qui est assise sur le bord de la citerne ; une autre, agenouillée et plongeant son urne dans l’eau, est d’un mouvement très vrai ; on craint seulement que la tête ne l’entraîne et qu’elle ne se noie, car son bras n’est pas bien appuyé. Le paysage présente une disparate sensible entre le premier plan et le fond : les devans, garnis de plantes rampantes et de fleurs aquatiques, sont peints avec la vigueur accoutumée de M. Decamps ; .mais les lignes des collines dans le lointain, la teinte jaune qui domine, le ton dur des nuages, gâtent un peu ce tableau.

Le plus parfait morceau de l’exposition de M Decamps, et je dirais volontiers la perle du salon tout entier, c’est sa Cavalerie turque asiatique traversant un gué. C’est un dessin, un de ces dessins comme seul M. Decamps sait les faire, rehaussé de couleur en certaines parties, et possédant l’éclat, le relief de la peinture. Au centre, on voit un pacha à longue barbe majestueusement campé sur un cheval blanc que deux Arnautes, dans l’eau jusqu’à mi-corps ; guident et maintiennent à grand’peine sur le gué. Le fier animal tenu en bride à droite et à gauche par ses conducteurs, courbe la tête, écume et, en piaffant, disperse l’eau tout autour de lui. Divers groupes admirablement disposés accompagnent et suivent ; ils s’enlèvent en vigueur sur le fond clair occupé jusqu’à une grande profonde par une forêt de lances mêlée d’étendards à queues de cheval, de bannières, de croissans et de longs