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menton. Cette main est un peu bosselée et bouffie, mais pourtant assez d’accord avec l’embonpoint raisonnable du personnage. Le désordre pittoresque d’un cabinet d’artiste a fourni à M. Meissonier l’occasion de disposer avec goût ces mille petits riens et ces détails d’ameublement qui font le charme du home, et disent au premier coup d’œil le caractère, les goûts, la profession du maître. Ici ce sont des esquisses, des statuettes ; là, un potiche bleu de Chine ou trempent les pinceaux, trois ou quatre chrysanthèmes dans un verre de Bohème ; des tableaux sont accrochés au mur du fond : ce mur ne vient il point trop en avant ? Le Dimanche nous montre des villageois (toujours du XVIIIe siècle) chômant sous la treille le jour du repos. Chaque fois que nous ayons examiné ce tableau ; nous aurions voulu pouvoir en enlever ces délicieux Lilliputiens qui jouent au tonneau, fument ou boivent de la bière ; nous ferions bon marché du reste : la guinguette en effet est sans perspective, la tonnelle manque de dessous, et le ton vert-clair des arbres, combiné avec un certain bleuâtre général qui court sur le ciel, sur les murs et sur les personnages, forme une gamme tout-à-fait criarde. Par la taille comparative des personnages, M. Meissonier a indiqué une grande profondeur, et pourtant son tableau est plat et n’a pas d’air. — Le Joueur de luth en costume espagnol, figure isolée un pied posé sur un tabouret, ressemblé à tous les Watteau possibles. La pose et le dessin de cette figure valent mieux que la couleur. Remarquons en passant la main qui racle l’instrument, et qui est d’une grosseur démesurée pour le corps. On rencontre souvent dans les tableaux de M. Meissonier de ces disproportions qui prouvent tout simplement un excès de sphéricité dans l’œil de ce peintre. Sa prunelle, jouant absolument le rôle d’un objectif de daguerréotype, lui grossit outre mesure les objets les plus rapprochés.

Une rue déserte, les portes closes, les volets fermés, sur un tas de pavés remués gisent des cadavres sanglans : telle est la donnée d’un Souvenir de guerre civile. Elle est dramatique et bien conçue. Je loue M. Meissonier de n’avoir pas cédé à la tentation d’y rien ajouter, d’introduire, par exemple, quelque être vivant, soldat ou insurgé, qui changerait aussitôt la nature de l’impression ; mais pourquoi jeter dans la rue cette teinte sombre ? Pourquoi un effet de crépuscule ? L’aspect d’une rue déserte pendant la nuit ou à quatre heures du matin n’a rien de bien étrange ; mais qui de nous avait jamais vu Paris sans souffle et sans bruit en plein midi de juin ? Quel plus morne contraste que celui de ce clair soleil illuminant les volets accoutumés à l’humidité de la nuit, miroitant sur les flaques de sang, caressant la face contractée des cadavres et les pavés arides de ses rayons habitués à jouer sur les pelouses ! Voilà l’accent lugubre qu’il fallait saisir. Dans le premier plan, M. Meissonier a échoué tout-à-fait. Les cadavres sont