Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/976

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils sont jaloux de se rendre mutuellement impropres à toute action publique. Cet épuisement qui est dans les pouvoirs, il est le même dans les entrailles de la société. La société assiste avec une indifférence absolue à des solennités où elle ne met pas son cœur. Elle est censée honorer des souvenirs précieux, manifester des émotions patriotiques : — l’immense majorité des citoyens français, ceux même qui s’accommodent le plus sincèrement de la république qu’on leur a faite, ne sont que les témoins passifs de ces démonstrations où ils devraient être des acteurs intéressés ; ils regardent passer sans colère et sans joie, des cérémonies qui ne parlent point à leur ame ; on leur chante un Te Deum qu’ils n’éprouvent ni l’envie de supprimer ni le besoin d’écouter. Ils sont atteints de cette lente maladie des vieux peuples qui subissent tout, parce qu’ils n’ont de goût pour rien. Après tant de révolutions, ils ne doutent plus qu’il n’y ait de longévité dans aucune, et ils les prennent comme elles viennent, en se laissant condamner à les entendre, tour à tour proclamer toutes immortelles. Ce qu’ils demanderaient même au fond, ce serait d’en demeurer toujours à la plus récente péripétie, non point par amour spécial pour celle-là, quelle qu’elle soit, mais, par lassitude des péripéties futures. C’est en ce sens peut-être qu’ils s’associeraient aux Te Deum, et il serait plus juste alors, plus conforme à leur pensée de renvoyer les Te Deum au 31 décembre pour remercier Dieu simplement d’avoir vécu sans autre mal toute une année de plus.

Comment les autorités établies auraient-elles plus de foi que leurs administrés dans le culte qu’elles célèbrent officiellement en l’honneur d’une date qui, quoi qu’on dise, ne les a pas faites ? Si cette date représente un principe, depuis l’absorption définitive des républicains dans le socialisme, c’est le principe des socialistes, c’est celui qu’il faut combattre à tous les degrés de la hiérarchie gouvernementale tant qu’on ne cessera pas de gouverner ; mais de ce point de vue-là quelle contradiction pitoyable d’adorer ce qu’on déteste, et comment ne serait-elle pas universellement sentie ? A : la langueur de tout le monde en matière de prédilection politique, le fonctionnaire ajoute l’ennui d’un sacrifice personnel imposé par des convenances plus ou moins factices ; il n’a pas plus de raisons que personne ; il en a moins d’adorer la révolution violente dans tel jour consacré, lui qui est occupé tous les jours de sa vie à la tenir en bride, et cependant l’étrange complication des circonstances veut que ce soit lui qui se rende le promoteur ou le complice de ces actions de grace dont la solennité inflige à tous ses actes un si dur démenti. La république ne date point, à notre sens, du 24 février ; elle date du 4 mai 1848, mais ce n’est là, ne nous le dissimulons pas, ce n’est là qu’une fiction légale qui nous met plus à l’aise, dans notre for intérieur, vis-à-vis du fait accompli, sans prévaloir contre la brutalité du fait lui-même. Il n’y aurait point eu de 4 mai sans le 24 février ; on a légalisé, après coup le renversement de la légalité ancienne. Tant qu’une légalité nouvelle n’aura point été instituée plus librement, par un concours plus équitable et plus naturel des volontés nationales, il y aura toujours une logique inflexible qui reportera quand même au 24 février l’origine du 4 mai. C’est l’embarras actuel de tout gouvernement qui tient à être normal de ne pouvoir cependant échapper à la domination de cette origine, mais c’est aussi cet embarras qu’elle cause qui la condamne. Il ne faut pas que le peuple souverain des carrefours puisse se dire à perpétuité qu’il dépend de lui de lever d’autres