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pavés dans une autre journée d’insurrection pour envoyez encore tous ces habits brodés salués processionnellement des anniversaires fondés à coups de fusil.

Il n’y a point, du reste, à s’y tromper, le calme matériel dans lequel le parti révolutionnaire a laissé passer ce nouveau retour de février n’implique pas du tout une abdication ; il était trop évidemment, à Paris surtout, le résultat d’une consigne ; il prouve à qui l’a observé l’organisation remarquable dirigée presque sous terre par quelque discipline secrète. La discipline n’agit pas sans doute avec la même efficacité sur les démagogues de province. Plus éloignés du centre, ils savent moins bien où l’on marche et comment on veut marcher. Ils n’ont pas le but, ou du moins l’espoir assez présent devant les yeux pour se dompter eux-mêmes et contenir la fougue de leurs tempéramens, pour jeûner en attendant le grand festin. En province, d’ailleurs, où l’on se connaît, où l’on se compte, où les meneurs radicaux se souviennent très directement de toutes les faiblesses qu’ils rencontrèrent au lendemain de février, où ils pourraient désigner du doigt, individu par individu, ceux auxquels ils ont la conscience d’avoir fait peur, en province, où le rôle des plus bruyans réactionnaires ne cache pas toujours assez les frayeurs bourgeoises, il est pour tout les démocrates d’irrésistibles tentations d’insolence. Les équipées dont nous avons maintenant les nouvelles ne sont ni plus ni moins que ces tentations satisfaites. Le caractère très sérieux des démonstrations parisiennes, c’était au contraire un parti-pris de bonne tenue et de sage ordonnance. Il ne pouvait pas ne point y avoir d’excentricités à pareille fête ; M. Lagrange a couru la capitale dans un petit fiacre où il siégeait majestueusement malgré les secousses qu’imprimaient à son véhicule les gamins acharnés qui le poussaient derrière ou le traînaient à la remorque en hurlant des vivats. Quand il pouvait, l’honorable représentant, mettait la tête à la portière pour engager ce bon peuple à être calme et modéré ; mais ces naïvetés ne tirent point à conséquence la figure de M. Lagrange a déjà sa place dans le cycle légendaire qui commence à se former autour de la révolution de février, dans son parti même, on le traite un peu comme un saint de légende ; ce sont des personnages auxquels on passe tout. La république démocratique et sociale avait devant la colonne de la Bastille des agens plus sévères, des tacticiens plus habiles. Il était facile d’apercevoir comment on avait enrégimenté son monde pour la journée des immortelles ; il y avait là quelque revu qui se faisait en plein soleil ; le mot d’ordre était de ne point fournir d’armes contre soi ; on le répétait de rangs en rangs, et l’on y obéissait. Au milieu de la foule compacte et silencieuse, s’élevaient d’instant en instant les voix d’un chœur aussi docile que la foule et qui chantait, en s’interrompant par temps égaux, le refrain favori des illusions révolutionnaires : Le peuple est roi ! »

Le peuple est roi ; oui, la souveraineté nationale est la bonne souveraine, mais non point celle qu’on improvise sur la borne ou sur la barricade. Nous n’avons qu’une ressource qui nous soit encore ouverte dans l’impasse où nous nous heurtons avant de nous y dévorer ; c’est la chance qui nous reste peut-être d’obtenir que cette souveraineté se prononce, mais entendons-nous bien avec ses formes les plus évidentes de justice et de sincérité, avec l’appareil irrécusable d’un grand et décisif jugement. Cette chance qui est encore dans nos mains, mais que nous ne sommes pas sûrs de pouvoir disputer à l’acharnement