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Avant 1789, le système protecteur, alors bien moins rigoureux qu’aujourd’hui (on en trouvera la preuve plus loin), avait une justification dans l’esprit des institutions. Tout était privilège dans ce temps là. Pour exister, la liberté elle-même avait dû se placer à l’ombre du privilège. Le point de départ de l’organisation sociale était la féodalité, qui partageait le territoire en une multitude de souverainetés et de juridictions exclusives. Il n’y avait eu moyen, pour l’industrie, d’obtenir une place au soleil que par la création successive d’une multitude de petits monopoles entre lesquels était divisé le champ de la production et qu’exploitaient autant de corporations. On n’avait pas alors, ou du moins on ne trouvait pas dans la législation la notion du droit commun. La justice, c’était pour chacun le maintien de son monopole : Cette donnée admise, l’équité, telle qu’on la concevait, était médiocrement choquée de ces droits qui élevaient ou pouvaient élever pour chacun le prix des marchandises qu’il produisait ; ce n’était rien de plus que la défense de son monopole, lequel était incontesté ; la protection de son droit, qui était légalement reconnu. La révolution de 1789, et c’est de tous ses dons le plus précieux, de ses bienfaits le plus impérissable, a aboli toutes les petites juridictions exclusives, balayé les monopoles, démoli les enceintes où les corporations se tenaient barricadées, et, sur le sol enfin dégarni, elle a planté le drapeau du droit commun, changeant ainsi profondément le sens qu’on attachait aux mots de justice et d’équité. L’idée du droit commun est depuis 1789, et restera à jamais la pensée génératrice de notre droit public ; mais le droit commun ne s’accommode pas, ne peut à aucun prix s’accommoder de privilèges, dévolus, sans qu’on sache pourquoi, à telle ou telle catégorie des citoyens. Le droit commun implique donc absolument l’abolition du système protecteur. Le système protecteur, surtout quand on le traduit par le monopole absolu et permanent du marché national, est le renversement du droit commun.


II. – LE SYSTEME PROTECTEUR NE DEVELOPPE PAS LE TRAVAIL ET N’AUGMENTE PAS LA RICHESSE DE LA SOCIETE.

Par cela même que la liberté du travail, entendue comme nous venons de le dire, a pour elle le principe de la liberté humaine et celui de la justice, elle ne pourrait manquer d’accroître la fécondité du travail et d’agrandir la richesse nationale. Tout homme industrieux qui veut travailler, ou qui, après avoir travaillé, veut consommer, est manifestement intéressé ç avoir la faculté de se pourvoir en tel lieu qu’il jugera convenable, au dehors comme au dedans, de matières et d’instrumens pour le travail ou d’articles de consommation. Ici, ce qui est vrai de individu, ne peut manquer de l’être de la société prise collectivement,