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clerc Théophile, empreinte, à sa naissance, de l’esprit de la réforme, mais retournée bientôt contre l’atrabilaire théologien de Wittenberg.

C’était la coutume de tous les Tokken-Spieler des XIVe, XVe et XVIe siècles, comme de tous les auteurs de mystères du même temps (coutume qui s’est perpétuée dans le clown et dans le gracioso des drames anglais et espagnols, et dans le niais de nos mélodrames), d’égayer constamment les pièces les plus graves et les situations les plus tragiques par les plaisanteries d’un bouffon attitré. On conçoit que cet usage n’eût rien de choquant alors, accoutumé que l’on était à voir un fou à titre d’office auprès de tous les grands personnages, empereurs, abbés, rois et prélats. Il nous serait difficile de dire quel fut, au XIVe siècle, le nom de l’acteur chargé, en Allemagne, de ce rôle comique dans les parades et les théâtres de marionnettes, à moins que ce ne fût le fameux Eulenspiegel, sous le nom vrai ou supposé duquel on a compilé un recueil de joyeux propos, ou plutôt peut-être maître Hemmerlein, dont la causticité sarcastique tenait à la fois du diable et du bourreau[1]. À la fin du XVe siècle, le bouffon des marionnettes allemandes nous est parfaitement connu : c’est une espèce de Francatripe, farceur de haute graisse, nommé, à bon escient, Hanswurst, c’est-à-dire Jean Boudin. Cet acteur est, sous un autre masque, le véritable Polichinelle allemand. Je dis sous un autre masque, car, si d’habiles critiques ont pu le comparer, pour le caractère et le tour d’esprit, à Polichinelle et à Arlequin, il diffère entièrement de ces deux types par le costume et par l’allure. Il paraîtra peut-être assez piquant que, pour trouver la plus ancienne et la plus exacte définition de ce grotesque personnage, nous devions recourir aux écrits de Martin Luther. Non-seulement ce docteur assez peu grave a fait souvent intervenir Hanswurst dans ses conversations familières, mais il n’a pas craint de donner ce nom pour titre à un libelle dirigé contre le duc Henri de Brunswick-Wolfenbüttel : « Misérable esprit colérique (c’est au diable que Luther lance cette apostrophe)[2], toi et ton pauvre possédé Henri, vous savez, aussi bien que tous vos poètes et vos écrivains, que le nom de Hanswurst n’est pas de mon invention ; d’autres l’ont employé avant moi, pour désigner ces gens malencontreux et grossiers qui, voulant montrer de la finesse, ne commettent que balourdises et inconvenances : c’est dans ce sens qu’il m’est arrivé souvent d’en faire usage, principalement dans mes sermons. » Et, pour

  1. Maître Hemmerlein, suivant Frisch, avait un affreux visage de masque ; il appartenait aux marionnettes de la dernière classe, sous les vêtemens desquelles le joueur passe la main pour les faire mouvoir. Cet auteur ajoute qu’on donnait quelquefois le nom de Hemmerlein au bourreau et qu’on appelle ainsi le diable dans le Breviarium historicum de Sebald. Voyez Deutsch-Lateinisches Wörterbuch.
  2. Luther avait de très fréquens pourparlers avec le diable. C’est un des motifs qui ont fait que les catholiques l’ont si souvent identifié avec Faust.