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poètes-artisans, tels que le barbier de Nuremberg Hans Folz, et le peintre d’armoiries Rosenblüt. Ce fut à peu près avec les mêmes moyens de mise en scène que furent jouées dans cette ville, au XVIe siècle, les deux cent huit comédies, tragédies et farces du fameux cordonnier Hans Sachs et les soixante-six comédies, farces et tragédies[1] du tabellion Jacques Ayrer. Enfin, au commencement du XVIIe siècle, quelques acteurs de profession s’établirent dans des salles couvertes, dont quelques-unes devinrent permanentes. Alors Jean Klai et Martin Opitz tentèrent en Allemagne, comme chez nous Garnier et Hardi, de fonder un théâtre national ; mais ils ne furent suivis ni d’un Mairet ni d’un Rotrou. Les agitations de la guerre de trente ans firent misérablement avorter ces premiers essais dramatiques. Durant cette période calamiteuse (de 1619 à 1648), les cantiques religieux furent la seule poésie du peuple et les marionnettes le seul divertissement scénique[2].

Après la paix de Munster, le théâtre allemand essaya de reprendre son essor ; mais, en retard sur tous ses voisins, il ne put échapper à l’influence étrangère. Déjà l’Angleterre avait eu son Shakspeare, l’Espagne son Lope de Vega, la Hollande son Vondel, la France son Corneille. André Gryph, dans ses efforts pour régénérer la scène allemande, ne put que flotter entre l’imitation de ces divers modèles. Il faut lui savoir gré toutefois d’avoir jeté quelques traits de véritable originalité au milieu de ses imitations, même les plus flagrantes. C’est ainsi qu’il a su rajeunir, par quelques touches du plus heureux à-propos, un type depuis long-temps trivial en France, en Italie et en Espagne. Le bravache Horribilicriblifax, copie du Pyrgopolinice de Plaute, du Matamore castillan, du Spavanto milanais, du capitaine Fracasse, a pris sous sa plume une physionomie tout-à-fait allemande, en nous montrant les ridicules prétentions de cette foule d’officiers retraités après la guerre de trente ans, qui rentraient avec beaucoup de répugnance dans la monotonie de la vie civile. Et non-seulement Gryph et ses confrères imitaient les théâtres voisins, mais l’Allemagne pacifiée eut en quelque sorte à subir une invasion des comédiens plus exercés et plus habiles des autres contrées de l’Europe. Des troupes anglaises, françaises, hollandaises, italiennes, espagnoles, affluèrent dans toutes les villes, et surtout dans toutes les cours. Il n’y eut pas jusqu’aux marionnettes qui ne passassent le Rhin. La chronique de Francfort mentionne pendant l’année 1657 d’excellentes représentations de

  1. Ce n’est là que le chiffre de ses pièces imprimées ; il en avait composé beaucoup d’autres restées inédites.
  2. Phil. von Leitner, Ueber den Faust von Marlow… (sur le Faust de Marlow ; Faust joué par des marionnettes…) ; extrait des Annales dramatiques, Leipzig, 1837, p. 145-152, reproduit par M. Scheible, Das Closter, t. V, p. 706.