Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1014

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marionnettes italiennes[1]. Il en fut de même à Leipzig et à Hambourg[2]. M. Schlager, dans ses Esquisses de Vienne au moyen-âge, a dressé une liste fort étendue, et pourtant encore incomplète, de tous les saltimbanques allemands et étrangers qui, de 1667 à 1736, furent autorisés à s’établir dans les faubourgs de cette ville. En tête de la liste figure Pierre Resonier, qui montra, pendant le carnaval de 1667, ses marionnettes italiennes sur la place du Marché des Juifs, et continua ainsi pendant plus de quarante ans. Chaque année (sauf les temps de guerre, d’épidémies ou de deuils princiers), des Pulzinella-Spieler ou des Marionnetten-Spieler (car c’étaient là les noms qu’ils se donnaient) s’installaient dans le faubourg de Léopold, sur le Marché-Neuf et sur la Frayung, où ils donnaient leurs représentations le soir, avant l’Angelus, les vendredi et samedi exceptés[3].

Cette influence des marionnettes italiennes s’est fait sentir, le croirait-on ? jusqu’au fond des steppes de la Russie. Un voyageur anglais, Daniel Clarke, traversant la Tartarie en 1812, a trouvé les marionnettes que les Calabrois font danser avec le pied ou le genou, et qu’ils transportent dans toutes les contrées de l’Europe, très en vogue chez les Cosaques du Don[4].

Cependant la scène allemande semblait près de sortir de sa longue léthargie et de regagner le temps perdu, grace aux efforts habiles de Daniel-Gaspar Lohenstein, lorsque le rigorisme du clergé protestant, passant d’une sourde animosité à une violence ouverte, suscita à la renaissance du théâtre de nouveaux retards. Ce fut à Hambourg, en 1680, qu’éclata cette guerre théologique, qui se répandit de là dans toute l’Allemagne. L’occasion des hostilités fut le refus qu’un ministre fit à deux comédiens de les admettre à la sainte cène. Une ardente polémique, prolongée jusqu’en 1690, envenima tellement la querelle, que cet acte d’intolérance isolé devint la cause commune de tout le clergé protestant. En vain les acteurs firent-ils publier des apologies très judicieuses de leur profession, en vain les universités consultées établirent-elles, par les autorités les plus respectables, l’innocence de la condition de comédien, en vain plusieurs princes prirent-ils à cœur de contrebalancer, par des marques éclatantes de bienveillance et d’estime, l’excessive sévérité des théologiens ; le gros du public accorda plus de créance à la voix de ses pasteurs qu’aux argumens des apologistes mondains. On n’alla pas jusqu’à s’interdire la fréquentation des

  1. Voyez Lersner, cité par M. Scheible, Das Closter, t. VI, p. 552.
  2. M. Schütze, dans son histoire du théâtre de Hambourg, a réuni de nombreux documens sur les marionnettes de cette ville. Voy. Hamburgische Theatergeschichte, p. 93-126.
  3. Schlager, Wiener Skizzen… (Esquisses de Vienne au moyen-âge), p. 268 et 359.
  4. Dan. Clarke, Travels in various countries, part 1 ; Russia, etc., cap. 12 ; t. Ier ; 3e édit., in-4o, p. 233.