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d’autres œuvres, sentant du moins leur beau monde, sur le théâtre que Gustave III avait fait ouvrir à Stockholm. On y représentait devant la cour nos pièces du premier ordre et des imitations suédoises. Monvel, Mme Marcadet et le danseur Didelot faisaient partie de la troupe. Gustave encourageait de sa présence les représentations et les répétitions ; il surveillait le choix des ouvrages. On jouait sous un pseudonyme bon nombre de comédies, comme le Sylphe et les Deux Américains, qu’il passe pour avoir composées dans son petit Haga (lille Haga), joli château construit à une lieue au nord de Stockholm, au milieu d’un beau parc, d’après les dessins de Gustave lui-même et dans le goût des Trianons ; c’est là que les bourgeois de Stockholm vont aujourd’hui encore respirer un air pur et voir dîner le roi et la cour.

Avec le goût du théâtre, Gustave III inspira aux Suédois celui de l’opéra, des bals masqués et des tournois ; il exigeait des dames et des nobles qui y assistaient un grand luxe de toilette ; l’habit de gala était en soie ou en satin bleu doublé de blanc ; le roi lui-même portait un costume de fantaisie en soie couvert de pourpre et richement brodé en or. En 1776, on dépensa 50,000 écus pour un tournoi, et Gustave, sous le costume d’un chevalier étranger, combattit pour soutenir que « l’amour règne avec plus de force et de constance dans les cœurs dont il s’empare le plus tard. »

Pour imprimer aux travaux des poètes et à l’esprit du théâtre une direction uniforme et générale, Gustave III institua en 1786 une académie de dix-huit membres, à qui il confia la mission de faire fleurir en Suède le bon goût de la cour de Versailles. En effet, quoique philosophe, le fastueux Gustave était passionné pour les belles manières de l’ancien régime, et, lorsque plus tard son zèle chevaleresque l’emporta jusqu’à lui faire préparer une expédition pour rétablir Louis XVI sur le trône, il y avait bien dans son ardeur anti-révolutionnaire quelque tendre souvenir pour les robes à paniers et les coiffures poudrées de Versailles. L’intelligence docile des écrivains suédois se prêta aisément à l’éducation nouvelle qu’on leur imposait ; la cour et la ville se piquèrent de parler français et de lire nos classiques ; le langage suédois, à peine fixé, fut envahi par une foule d’expressions étrangères, et faillit perdre toute originalité. On pouvait prévoir ce qui arriva : l’imitation servile bannissant l’originalité et le fond disparaissant sous la forme, non-seulement le style et le génie suédois perdirent toute allure vraiment nationale, mais l’esprit français lui-même se trouva représenté pour les poètes de Stockholm par les trois unités, le vers alexandrin et le genre didactique. Les dix-huit immortels imaginèrent pour leur usage un niveau poétique auquel tout candidat aux palmes académiques dut se soumettre humblement. Gustave III fut le premier dieu de ce Parnasse ; on décerna mainte couronne aux tragédies et aux éloges historiques composés par lui-même, et l’on