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leur timbre et leur portée, et composa, avec ces périlleux élémens harmoniques, une symphonie de l’originalité la plus bouffonne et la plus savante.

Il faut avouer que ce n’est pas une médiocre gloire pour nos marionnettes que de voir Goethe préluder à ses chefs-d’œuvre dramatiques en se faisant leur organe, et Haydn, dans toute la splendeur de son génie, se plaisant à écrire pour elles une série de petits chefs-d’œuvre.


VIII. – MARIONNETTES EN ALLEMAGNE DEPUIS LA FIN DU XVIIIe SI7CLE JUSQU’A NOS JOURS.

Pendant les vingt dernières années du XVIIIe siècle, les marionnettes aimées, recherchées, fêtées, comme on vient de le voir, dans quelques résidences aristocratiques, toujours chéries du peuple et bienvenues dans les villages et dans les faubourgs des villes, n’avaient cependant, il faut le dire, d’existence et de point d’appui qu’aux deux extrémités de l’échelle sociale. Dans toute l’immense population intermédiaire, parmi les lettrés, les poètes, les critiques, dans toute cette foule éclairée qui aimait ou cultivait la littérature et les arts, personne ne songeait à elles, et l’on conçoit assez, en effet, qu’au milieu de l’admirable développement épique, lyrique et dramatique, qui se préparait et qui commençait déjà à poindre sous l’influence des glorieux successeurs de Lessing, il ne restât plus dans aucun esprit sérieux d’intérêt disponible pour les marionnettes. Cependant il se passait alors quelque chose dans la tête d’un jeune homme obscur qui allait ramener l’attention du grand public allemand sur la vieille légende de Faust, et par suite sur les marionnettes qui étaient en possession de l’interpréter. Goethe enfant avait vu certainement jouer Faust par les marionnettes de la foire de Francfort, sa patrie. Il l’avait revu probablement encore aux foires de Leipzig pendant les trois années qu’il passa dans cette ville à suivre, je devrais dire à observer en critique les cours de l’université ; mais ce qui est certain, c’est qu’arrivant à Strasbourg à la fin de 1769, il y portait le dessein arrêté d’élever cette légende si profondément humaine et si profondément germanique aux proportions du drame et de l’épopée. Loin de dissimuler l’origine de son incomparable chef-d’œuvre, Goethe nous l’a fait connaître lui-même de la manière la plus intéressante dans ses mémoires. Pendant les trente mois qu’il passa à Strasbourg, sous prétexte d’achever ses études de droit, mais en réalité pour y méditer et préparer ses trois premières grandes compositions, Goethe vécut dans l’intimité d’un homme d’un esprit éminent, de Herder, dont il fit son confident littéraire et son mentor. Cependant le jeune homme faisait un mystère à son sage ami