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peintres français comme des programmes complets que le pinceau peut suivre fidèlement. Or aucun de ces lambeaux si riches, si éclatans, ne se prête aux conditions de la peinture. Toutes ces citations si éloquentes, qui éblouissent l’imagination, sont condamnées par leur nature même à demeurer sans retour dans le domaine exclusif de la poésie : le pinceau le plus habile ne réussirait pas à les traduire sous une forme vivante, et M. Guizot ne paraît pas s’en douter. Il écrase le lecteur sous une avalanche de vers anglais, et ne paraît pas prévoir l’inutilité absolue de son érudition, du moins pour la peinture. Sans doute il y a dans le Paradis perdu, comme dans la Divine Comédie, de nombreux sujets de tableaux. Sans parler des dessins de Michel-Ange empruntés au poète florentin et que le temps nous a enviés, qu’il me suffise de rappeler l’exemplaire sur vélin conservé à la bibliothèque du Vatican, et dont plusieurs pages sont ornées par la main de Giotto. Milton ne serait pas une source moins féconde qu’Alighieri ; mais il ne faut pas croire que toutes les pensées qui nous ravissent sous la forme poétique nous raviraient sous la forme pittoresque c’est une erreur trop accréditée, qui ne peut enfanter que des tableaux sans valeur. M. Guizot, dans les citations nombreuses qu’il a empruntées à Milton, me semble partager l’ignorance commune, et je m’explique pourquoi il dédaigne le talent de Prudhon.

Six ans plus tard, M. Guizot essayait de traiter une question d’esthétique générale et de marquer « les limites qui séparent et les liens qui unissent la peinture et la sculpture. » Malheureusement dans l’espace de six années le fonds de son érudition ne s’était pas accru. Je retrouve en effet, dans le morceau dont je viens d’indiquer le titre, toutes les idées développées à propos du salon de 1810. La pierre gravée qui représente Prométhée reparaît comme une démonstration décisive, et l’auteur semble heureux de reproduire cet argument. Or, pour l’accepter, il faut n’avoir jamais mis les pieds dans un atelier de sculpture. Tous ceux qui ont vu à l’œuvre David et Pradier savent très bien que.le statuaire, en copiant le modèle, ne se croit pas obligé de construire.le squelette avant d’attacher les muscles. Ce renseignement est si vulgaire, que je m’étonne d’avoir à le rappeler.

Toute l’argumentation de l’auteur sur les affinités et les différences de la peinture et de la sculpture se réduit à cette double formule : la sculpture ne doit exprimer que des attitudes calmes ; la peinture peut exprimer tous les genres d’action. J’avouerai que cette double formule est très loin de me satisfaire. La première partie n’est pas exacte ; quant à la seconde, elle est tellement vague, qu’elle échappe à toute discussion. M. Guizot a beau citer Lessing, Mengs, Emeric David : il n’arrive pas à démontrer que le groupe de Laocoon rentre dans sa définition, Que les trois auteurs de ce groupe si vanté, car chaque figure porte