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de son esprit, il ne pouvait deviner par la réflexion ce que nos yeux peuvent seuls nous enseigner. Il marchait sur un terrain qui ne lui était pas connu et la souplesse de sa parole ne pouvait masquer son ignorance. Sa passion pour les idées générales ne réussit pas à dissimuler son dédain pour les faits particuliers, sans lesquels il n’y a pas d’idée générale vraiment légitime.

Le portrait de Léon X, la Vierge de Foligno, la Sainte Famille achetée par François Ier ne suggèrent pas à M. Guizot une seule pensée qui lui appartienne. Quand Vasari et Lanzi ne conduisent pas sa plume, c’est l’histoire seule qui la conduit. Ainsi, au lieu de prendre le portrait de Léon X comme une œuvre d’art, il s’évertue à retrouver dans le masque du pape toutes les qualités, bonnes ou mauvaises, que l’histoire lui attribue. Je reconnais volontiers que son érudition est de bon aloi ; je regrette seulement qu’il la prodigue en pure perte. Quel que soit en effet le rôle joué par Léon X, il ne s’agit pas d’apprécier son caractère moral, mais d’estimer l’œuvre de Raphaël ; or c’est ce que M. Guizot n’a pas essayé. Il se contente de rappeler les traits principaux dont se compose la physionomie de Léon X, et ne songe pas un seul instant à se demander en quoi consistent les mérites de cette peinture. Il est bon sans doute de savoir que le modèle qui a posé devant Raphaël unissait au goût des arts le goût des plaisirs ; mais cette notion, très utile en elle-même, ne signifie pas grand’chose lorsqu’il s’agit d’estimer le portrait de Léon X, et pourtant M. Guizot n’a pas quitté le terrain de l’histoire. En parlant de la Vierge de Foligno et de la grande Sainte Famille, il n’avait pas la même ressource. L’érudition historique n’avait rien à démêler avec ces deux tableaux. Les renseignemens fournis par les biographes sont trop peu nombreux pour défrayer la discussion. Saint George et Jeanne d’Aragon sont pour lui des sujets plus fertiles, car il peut appeler à son secours la légende et l’histoire ; mais, il faut bien le dire, le jugement qu’il prononce sur ces deux ouvrages ne relève ni du goût ni de l’analyse.

Je n’ignore pas combien il est difficile de parler dignement de Raphaël. Après les pages sans nombre écrites depuis trois siècles sur un tel sujet, le désir de trouver des paroles nouvelles mène au paradoxe par une pente rapide. M. Guizot ne s’est pas exposé à ce danger : il n’a rien dit qui n’ait été dit plusieurs fois, et je ne le blâmerais pas, s’il eût trouvé moyen de rajeunir par la forme les pensées qui n’étaient pas nées dans son esprit. Malheureusement il s’est contenté de répéter ce qu’il avait lu sans essayer de donner à ses souvenirs un caractère personnel. Signés d’un autre nom que le sien, ses travaux sur la peinture ne mériteraient pas une heure d’attention ; signés de son nom, ils excitent l’étonnement. Je me demande comment il s’est décidé à réimprimer des pages écrites en 1810, en 1816, en 1818, qui ne renferment