Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1051

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’auteur, en résumant ses lectures, a trouvé moyen de semer çà et là plusieurs pensées très justes, et qui, pour être estimées selon leur valeur, ne demanderaient qu’à se montrer sous une forme plus précise. Toutefois ces pensées, quelle qu’en soit d’ailleurs la justesse, ont le défaut très grave de pouvoir figurer avec un égal à-propos en tête de tous les travaux qui se rapportent à l’art dramatique. Qu’il s’agisse de Calderon ou de Shakespeare, de Schiller ou de Goethe, de Corneille ou de Racine, ces prolégomènes offriront toujours le même intérêt, c’est-à-dire qu’ils pourront servir de préface à toutes les dissertations de même nature. C’est affirmer assez clairement que ces prolégomènes, en raison du développement qu’ils ont reçu, ne sont qu’un hors-d’œuvre. Concentrées en quelques pages, les vérités que M. Guizot a exposées dans ces prolégomènes nous prépareraient à l’intelligence de Shakespeare ; présentées dans une langue souvent confuse, elles ne réussissent qu’à nous distraire du sujet principal. En lisant tout ce que l’auteur nous raconte sur les origines du théâtre en Europe, nous oublions volontiers qu’il veut nous parler du théâtre anglais, et qu’il a choisi pour thème un des plus grands génies dont s’honore l’humanité. Il est sage sans doute, il est nécessaire d’étudier avec ardeur, de connaître complètement les causes d’un fait éclatant : cependant il faut savoir se contenir dans de justes limites, et présenter le fruit de ses études sans ostentation. Je ne veux pas rappeler la parole de Montesquieu : « Le génie abrége tout parce qu’il embrasse tout. » Cet argument, en effet, n’aura jamais aucune valeur dans la discussion. Le génie est un privilège que personne ne peut invoquer comme un devoir. Je me contenterai de rappeler les lois les plus vulgaires qui président à toute composition. Or personne n’ignore qu’il faut établir une certaine proportion entre les diverses parties d’un raisonnement ou d’un récit : une telle vérité n’a pas besoin d’être démontrée. Cependant M. Guizot paraît à peine l’avoir entrevue. Il parle avec tant de complaisance, je pourrais dire avec tant de bonheur et d’orgueil, des faits qu’il a recueillis sur le théâtre grec, sur le théâtre européen, que le théâtre anglais n’est plus qu’un point dans la discussion. Et lorsqu’il se décide enfin à nous parler de Shakespeare, nous ne lui prêtons plus qu’une attention assez indolente. Ce n’est pas qu’il n’explique, ne loue et ne juge dignement l’auteur d’Hamlet et d’Othello. Non-seulement il le comprend et le commente comme un homme qui depuis long-temps s’est nourri de sa pensée, mais il indique ses mérites et ses défauts avec une rare sagacité. Malheureusement, avant d’aborder le sujet principal de son œuvre, il a promené notre intelligence sur un si grand nombre de sujets, que nous voyons tout au plus dans Shakespeare un corollaire des théorèmes dont nous avons suivi la démonstration. Les prolégomènes généraux qui devaient éclairer