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que ses tragédies sont très supérieures à ses histoires. Et comment le démontre-t-il ? En rappelant que, dans tout poème dramatique, le personnage principal doit servir de pivot à l’action. Hamlet, Othello, Macbeth, Roméo, le Roi Lear, satisfont pleinement à cette condition, tandis que les drames empruntés à l’histoire d’Angleterre n’en tiennent aucun compte ; Richard III fait seul exception. Les pages de M. Guizot sont donc une lecture pleine de profit. Tout ce qui s’est dit depuis vingt ans sur la poétique dramatique se trouve confirmé, ou plutôt se trouve prévu dans l’analyse des œuvres de Shakespeare. Jamais, je crois, l’unité d’action n’a été mieux défendue, jamais la curiosité excitée par l’entassement des événemens n’a été condamnée plus sévèrement. Toutes les extravagances, toutes les puérilités qui ont excité tour à tour le rire et la colère des hommes de goût sont désignées d’avance à la réprobation par le biographe de Shakespeare. Malheureusement ces vérités si évidentes, si utiles, sont exprimées dans un langage qui fatigue trop souvent l’attention : il semble que l’auteur prenne à tâche d’amoindrir l’intérêt que méritent ses pensées. Au lieu de chercher pour elles des images vivantes qui nous charment et nous captivent, il s’obstine à prodiguer les termes les plus prosaïques. En nous parlant de poésie, il ne trouve pas une parole poétique ; il oublie constamment que la critique, pour ne pas lasser l’attention, doit emprunter ses pensées à la philosophie, son langage à la poésie. Content d’avoir raison, il ne prend pas la peine de persuader. Il traite le lecteur avec un dédain superbe, et s’adresse à l’intelligence sans jamais essayer de séduire l’imagination. C’est une méthode que je ne saurais approuver. Le travail de M. Guizot sur Shakespeare vaudrait deux fois ce qu’il vaut, si l’auteur savait revêtir sa pensée d’une forme poétique. Quant aux détails qu’il a prodigués sans mesure, il est évident qu’ils nuisent à la vérité même. Il eût mieux fait de restreindre le champ de ses investigations. La richesse de son savoir l’entraîne trop souvent au-delà des limites naturelles de son sujet ; il oublie volontiers la biographie pour l’histoire, et, quel que soit le plaisir avec lequel nous le suivons dans ce voyage à travers le passé, il nous arrive de souhaiter un guide moins savant, qui nous conduise plus vite au but marqué. Excellent sous le rapport historique, écrit dans un langage inanimé, ce travail n’a pas porté les fruits qu’il devait porter. Je ne m’en étonne pas, et ce que j’ai dit me dispense de toute explication : il faut en effet un certain courage pour suivre le développement des principes les plus vrais, lorsqu’ils sont exprimés en termes glacés.


III

M. Guizot s’est essayé dans le champ de la philosophie. Les pages