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de la matière ? Puisque la combinaison des élémens dont nos organes se composent n’explique pas la faculté de penser, pourquoi la dispersion de ces élémens s’opposerait-elle à la permanence de cette faculté ? Placées sur ce terrain, la physiologie et la philosophie peuvent se comprendre et se compléter mutuellement ; M. Guizot, en nous parlant de l’immortalité de l’ame, ne s’est inquiété ni de la physiologie, ni de la philosophie.


IV

Toutefois il serait injuste d’estimer la valeur intellectuelle de M. Guizot d’après les œuvres que je viens d’analyser. Ni les beaux-arts, ni la littérature, ni la philosophie n’étaient sa véritable vocation. C’est d’après ses travaux historiques, d’après l’Histoire de la Révolution anglaise, de la Civilisation européenne et de la Civilisation française, que nous devons le juger. Bien conseillé, il eût sans doute laissé dans l’ombre et dans l’oubli les pensées qu’il avait ébauchées sur les arts du dessin, sur la littérature, sur la philosophie, et qui n’appelleraient l’attention de personne, si elles n’étaient pas signées de son nom. Quand il s’agit de savoir ce qu’il représente dans le mouvement de l’esprit, français, de mesurer ce qu’il a fait pour le développement de la vérité, ses travaux historiques doivent seuls nous servir de guides. Or ces travaux se divisent en quatre parties bien distinctes : l’Histoire des Origines du Gouvernement représentatif en Europe, l’Histoire de la Révolution d’Angleterre, l’Histoire de la Civilisation européenne, et enfin l’Histoire de la Civilisation française. Le premier de ces livres, malgré le nombre et le choix des documens qu’il offre à notre attention, ne suffirait pas pour fonder la renommée de l’auteur, car ces documens, triés d’ailleurs avec un soin scrupuleux, sont présentés sous une forme trop sèche pour prendre rang parmi les travaux historiques vraiment dignes de ce nom. Aussi ne prendrai-je pas la peine de les analyser. Je reconnais volontiers qu’il a fallu, pour réunir ces documens, une érudition rare ; cependant je croirais me rendre coupable d’injustice en estimant la valeur scientifique de M. Guizot d’après son Histoire des Origines du Gouvernement représentatif, car ce livre, à proprement parler, n’est guère qu’un memorandum, un ensemble de matériaux pour un livre qui n’est pas fait. Pour savoir vraiment la place que M. Guizot occupera dans le développement intellectuel de la France, il faut absolument l’étudier dans les trois ouvrages que j’ai nommés : la Révolution anglaise, la Civilisation européenne et la Civilisation française.

L’Histoire de la Révolution anglaise est un travail vraiment original. M. Guizot s’y était préparé de longue main par la publication des mémoires relatifs à la révolution ; il avait traduit et analysé tous les documens