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LE MEZZO-MATTO


SOUVENIRS DE LA VIE SICILIENNE.

I.

Le nom de mezzo-matto, qu’on prodigue beaucoup en Sicile et qui veut dire littéralement à moitié fou, ne se prend pas en mauvaise part. On le donne d’abord à tout individu travaillé par une manie ou une idée fixe quelconque : le collectionneur, l’amateur de tableaux, le distrait, l’amoureux, l’humoriste, le jaloux, etc., sont des mezzi-matti. C’est, comme on voit, une famille considérable dont les membres divers ont des noms dans tous les pays du monde ; mais on appelle aussi mezzi-matti les gens singuliers par les mœurs ou le caractère, et dans cette seconde catégorie on trouve des personnages qui n’existent qu’en Sicile. Sous le 38e degré, la tête s’exalte facilement ; les passions, les ridicules et l’originalité prennent de fortes proportions. Le jaloux sicilien l’est à la rage, l’amoureux à la folie, le distrait et l’humoriste donnent des signes énormes de leur préoccupation ou de leur chagrin. De là vient peut-être que l’instinct comique, soutenu par tant de sujets d’observation, est plus éveillé en Italie et en Sicile que dans le reste de l’Europe. Il fallait un terme exagéré pour répondre à l’exagération de la chose, et ce terme une fois imaginé, si, parmi ceux à qui on l’applique, il se trouve des gens qui ne le méritent pas tout-à-fait, tant d’autres sont fous plus qu’à moitié que la compensation est amplement rétablie. Certaines personnes usurpent d’ailleurs le titre de mezzi-matti, afin de se donner leur franc-parler et de satisfaire leur penchant pour l’indépendance, la satire ou le mépris des usages du monde.