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de Gallidoro. Lorsqu’on signifia au marquis l’ordre de payer l’amende et les frais, et de reculer la barrière de bois, il répondit qu’il n’en ferait rien, et cette réponse aggrava fort la situation. Les huissiers se présentèrent un matin pour saisir le mobilier ; le valet de chambre leur ouvrit les portes, et aussitôt leurs mines s’allongèrent : ils ne trouvèrent partout que les quatre murs, pas un meuble ni un ustensile, pas un habit ni une pièce de linge, point de carrosse sous la remise ni de chevaux à l’écurie. Les rayons et les planches de la bibliothèque avaient disparu avec les livres ; un hamac suspendu à deux clous servait de lit au patron du logis. — C’est une chose rare à Messine qu’un sujet de conversation publique. Les habitans de cette ville endormie s’animèrent à la nouvelle du voyage infructueux des huissiers ; les détails de l’expédition fournirent un second chapitre à l’histoire du procès. Des gens clairvoyans avaient déjà reconnu dans le palais du prince *** des tableaux et objets d’arts de la villa Germana, aux mains dudit prince et sur sa cravate les bagues et l’épingle ornée de diamans du marquis. On attendit avec impatience les épisodes de cette petite guerre, et quand le mezzo-matto, avec sa veste de toile, son chapeau de moissonneur et ses souliers garnis de clous, vint rôder à Messine, on recueillit ses paroles, comme autrefois à Athènes celles de Timon le misanthrope. Il mangeait à la trattoria la plus simple, au prix le plus modique, et couchait à l’auberge. Pour un grano, il marchandait pendant une heure. On remarqua que ses anciens domestiques ne cherchaient point de places et qu’il les employait à des messages. Un jour, devant le café qui servait de quartier-général au seigneur Germano, s’arrêtèrent deux mulets conduits par maître Carlo. On apprit ainsi que le marquis allait partir, et l’alarme se répandit parmi les observateurs. Un groupe nombreux se forma autour du mezzo-matto. Dans les paniers du mulet aux bagages, on le vit mettre son hamac et une chemise qu’il venait d’acheter ; il enfourcha l’autre mulet, et salua la compagnie.

Signor marchese, lui dit un plaisant, nous allons nous ennuyer tant que vous serez absent. Avec l’homme aux seize tari s’éloigne la joie de Messine.

— J’en suis fâché, répondit le marquis. Je vous ai donné le spectacle assez long-temps ; il est juste que la cité de Catane ait son tour.

— Comment ! vous vous rendez à Catane en cet équipage, quand le courrier vous y mènerait en neuf heures dans un excellent char-à-bancs !

— Le courrier ! s’écria le marquis, y pensez-vous ? Cela était bon avant la perte de mon procès. Un homme ruiné comme moi doit se contenter du mulet ou de la lettiga qui sont des moyens de transport siciliens, un peu lents, il est vrai, mais sûrs et point coûteux. J’aurai