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leurs femmes, les Chinois avaient moins voulu donner à leur démarche « le balancement du saule agité par la brise » que leur créer des habitudes sédentaires. Combien nous eussions aimé à prolonger de pareils entretiens, si une impatience, justifiée par les événemens qui se préparaient à Canton[1], ne nous eût emportés à travers ce voyage comme une trombe que chasse devant elle la tempête, qui tourbillonne sans cesse et ne s’arrête nulle part !

Avant que le coucher du soleil vînt borner le cours de nos visites et nous ramener à bord de la Bayonnaise, il nous fallait encore saluer le préfet apostolique du Kiang-nan, Mgr Maresca, et, s’il était possible, nous rendre en dernier lieu chez le consul des États-Unis. Trois heures venaient de sonner, et nous n’avions plus un instant à perdre. Nous prîmes donc congé du taou-tai, qui, les mains jointes, nous accompagna jusqu’à nos chaises de ses remerciemens et de ses voeux. Lin-kouei devait partir le lendemain pour Sou-tcheou-fou ; mais il avait promis de hâter son retour dans l’espoir de retrouver à Shang-hai les mandarins français et de les voir « illuminer une seconde fois son palais de leur présence. » Nous entendions encore les fervens tchin-tchin de l’aimable Mantchou, que, depuis long-temps déjà, nos chaises avaient disparu à ses regards.

Nos coulis se dirigeaient d’un pas rapide vers le haut de la rivière, où, sur une pointe avancée, à l’extrémité du dernier faubourg, s’élève le palais épiscopal, ancienne concession de l’empereur Kang-hi, qui fut restituée à nos missionnaires par les soins de M. de Lagrené. C’est avec la croix de bois que nos missionnaires ont entrepris de sauver la Chine. Aussi attendez-vous, quand vous visiterez les côtes du Céleste Empire, à trouver plus d’un évêque vêtu comme un pauvre marchand chinois et dormant sous un toit de chaume. À Shang-hai toutefois, sans être somptueuse, la demeure épiscopale, aux murs de briques, à la couverture de tuiles, réjouit l’œil par son exquise propreté et sa modeste élégance. Appelé à protéger du prestige qui s’attache à son rang et à sa personne les missions dispersées dans la riche province du Kiang-nan, souvent mis par sa position que reconnaissent et protégent les traités en relations directes avec les autorités chinoises, Mgr Maresca a dû s’entourer d’une certaine pompe inconnue aux évêques proscrits du Su-tchuen ou du Hou-kouang. Cet ancien compagnon des martyrs, ce courageux confesseur de la foi qui fut à la veille de suivre M. Perboyre au supplice, a vu des mandarins s’asseoir à sa table et un peuple immense assister silencieux au saint sacrifice, pendant que, dans la chapelle ouverte à tous les regards, les chrétiens à genoux psalmodiaient les

  1. L’ouverture des portes de Canton avait été fixée, par la dernière convention conclue avec sir John Davis, au 6 avril 1849 ; mais le nouveau vice-roi se montrait peu disposé à remplir cet engagement, et l’on prévoyait pour le 6 avril une nouvelle et sérieuse rupture.