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et qu’un pareil récit a de vraisemblance ! Comment ! cette jeune femme qui arrive sur la scène en se déchirant les joues, qui se jette à corps perdu sur le cadavre de son mari, qui veut mourir parce qu’il a cessé de vivre, cette jeune femme aurait armé le bras d’un meurtrier ! Arrière, imposteur ! Prépare-toi à subir le châtiment de ton crime. — Les satellites et les mandarins subalternes ne sont pas obligés de savoir lire au fond du cœur des femmes. Il faut être au moins membre du collège des han-lin pour cela. Le pauvre voleur périrait donc victime d’une funeste méprise, si un mandarin d’un ordre supérieur n’intervenait et ne finissait par découvrir les vrais coupables, dont le juge, après de longs débats, prononce la sentence.

Justice est faite ; — respect aux morts. Ce n’est plus un couple scélérat, mais un groupe charmant qui occupe la scène. En présence d’un vieillard enveloppé d’une grande robe brune et coiffé d’un chapeau de paille, — un grand-père ou un bon ermite, — un jeune garçon et une jeune fille se livrent à leurs joyeux ébats et déploient leurs graces adolescentes. Le vieillard sourit à ces jeux, et, pendant que les enfans se plaisent à lui décrire tous les plaisirs de leur âge, il suit d’un œil indulgent leur aimable pantomime. Le programme de ce ballet est ce qu’on peut imaginer de plus simple au monde ; mais les mouvemens des danseurs sont si harmonieux, si mollement cadencés, qu’on ne se lasse point de les voir. Tout cela est doux et frais comme une idylle.

Deux sentimens se disputent le cœur des Chinois : l’amour du sol natal et l’amour de la famille. — Après ces innocentes joies d’un grandpère, contemplez la douleur de ce lettré vêtu d’une casaque jaune, qui a quitté le Céleste Empire pour venir étudier la nature dans la Mantchourie ; il regrette maintenant cette belle Chine qu’il a follement abandonnée ; il chante ses chagrins sur un mode plaintif, et la musette marie ses accords à ses chants. Laisse couler tes pleurs, infortuné Chinois, mais renonce à l’espoir de revoir ta patrie. Comment le roi des Mantchoux consentirait-il au départ d’un homme dont il veut faire son premier ministre ? Il envoie vers l’illustre étranger deux mandarins qui cherchent à le séduire par les plus riches présens. Le lettré détourne doucement la tête. Les caresses sont impuissantes ; la terreur triomphera peut-être de sa résistance. Deux bêtes féroces s’avancent en rugissant sur le théâtre. Des pantalons rouges apparaissent sous la couverture qui les enveloppe. Il faut remonter jusqu’à Nick Bottom, jusqu’au lion qui, dans le Songe d’une Nuit d’été, se prépare à paraître devant le duc d’Athènes, pour retrouver cette insolente parodie des bêtes à quatre pattes. Quoi qu’il en puisse être de ces animaux féroces, que ce soient des courtisans déguisés ou de véritables quadrupèdes, le lettré, après avoir versé quelques larmes que lui arrache un premier moment d’effroi, dégaîne son sabre, pousse aux monstres, et