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un seul exemple suffit pour le prouver : ses filatures de coton ont atteint à une perfection égale en tous points aux plus beaux résultats de l’industrie anglaise, et leur nombre s’accroît toujours. Sous l’ancien pacte, la souveraineté cantonale était le principe dominant ; ce principe assurait non-seulement la neutralité politique de la Suisse, mais aussi (et pour le moins autant) sa neutralité commerciale, toute alliance en dehors du pacte étant quasi-impossible entre vingt-deux petits états différant entre eux par les intérêts, les lois et la langue. Aussi, lorsque la France, entrant de plus en plus dans les voies du système protecteur, eut fermé ses marchés aux importations de la Suisse, l’idée de répondre par des prohibitions aux mesures commerciales de la France, se fit jour à la diète. Autrefois les fromages suisses entraient en France sans payer aucun droit ; sous l’empire, ils payèrent 6 francs par quintal métrique ; en 1820, ce fut 15 francs ; actuellement, c’est 20 francs[1]. En 1806, le bétail payait par tête 3 francs pour les bœufs gras, 1 franc pour les vaches ; en 1822, les droits furent élevés à 50 francs pour les boeufs, et 25 fr. pour les vaches. Les pailles fines tressées paient 5 fr. 50 cent. par kilogramme, c’est-à-dire cent fois plus que les pailles grossières. Toutes les remontrances de la Suisse auprès du gouvernement français étant restées sans succès, treize cantons conclurent entre eux, en 1822, un concordat qui frappa de droits d’entrée plus ou moins élevés les importations de la France ; mais neuf cantons s’étaient refusés à cette alliance, et parmi eux se trouvaient quelques-uns des cantons qui forment la frontière du côté de la France : le concordat ne fut plus qu’une lettre morte. Bon gré, mal gré, la liberté du commerce continua à exister en Suisse. La France et toutes les autres puissances purent prendre, sans craindre de représailles, les mesures les plus contraires à l’industrie et au commerce de la république helvétique.

Le pacte de 1848 a totalement changé cet état de choses. Si les faits de 1822 se reproduisaient de nos jours, non-seulement une majorité d’un seul canton, mais une majorité d’une seule voix dans l’assemblée fédérale contraindrait tout le reste de la Suisse à entrer dans un seul et même système. Une des premières mesures qui ont suivi l’abolition de l’ancien pacte a été l’établissement des douanes, déguisées sous le nom de péages transportés à la frontière ; mais le système des péages est si véritablement un système de douanes, qu’il suffit maintenant d’un simple trait de plume, d’un simple changement de chiffre dans les tarifs pour jeter du jour au lendemain toute la confédération dans l’alliance commerciale de la France ou de l’Allemagne, de l’Autriche ou de l’Italie. Cette nouvelle organisation excite un profond mécontentement dans les populations des cantons-frontières. Cependant, comme elle est la base du nouvel ordre de choses politique qui ne pourrait se maintenir si le produit des douanes venait à lui manquer, comme cette organisation répond d’ailleurs aux vœux des cantons industriels qui tentèrent, en 1822, de faire adopter des mesures de prohibition contre la France, — il n’est pas à présumer que la confédération y renonce ; au contraire, il faut s’attendre à ce qu’elle cherche une compensation

  1. Depuis 1822, le droit est de 16 fr. 50 cent. sur le poids brut, ce qui équivaut à 20 francs.