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depuis ministres en Danemark, parlèrent, dans la fameuse réunion du cirque de Copenhague (Riddehus), avec une ardeur qui attira l’attention du gouvernement. « Nous ne sommes rien aujourd’hui, s’écria M. Orla Lehmann ; mais, dans quelques années, c’est nous qui siégerons dans les conseils du roi, et nous triompherons, si nous restons seulement fidèles à nos convictions. Jurez qu’aucun de ceux qui sont ici présens ne trahira l’idée scandinave, et la victoire de cette idée est certaine ! » M. Orla Lehmann fut poursuivi au sortir de cette réunion et condamné à six mois d’emprisonnement, et l’excursion que le scandinavisme avait voulu tenter dans le domaine de la politique fut ainsi réprimée.

L’agitation resta pacifique, et, dans ces limites, elle n’a pas été complètement stérile. La guerre du Slesvig-Holstein a déjà montré les sentimens d’union que ce mouvement avait suscités entre les peuples scandinaves. Les écrivains du parti scandinave rappellent avec enthousiasme cette belle matinée du jour où les navires suédois et norvégiens apportèrent en Fionie des auxiliaires aux Danois attaqués par les Prussiens. Peut-être est-ce le souvenir de cette journée que l’habile graveur Petersen a voulu reproduire sur la médaille récemment frappée en l’honneur des volontaires scandinaves. On voit d’un côté Heimdall, le gardien de l’Asgard (séjour des dieux), debout sur l’arc-en-ciel, tenant d’une main le glaive, de l’autre la trompette recourbée avec laquelle, il donne le signal des combats ; à ses pieds, le coq bat des ailes et lance dans les airs sa voix éclatante. On lit au-dessus de sa tête ce refrain d’un vieux chant : « Voici que la guerre éclate dans le Jutland ! — Nu stander striden underJutland. » L’autre face représente un navire scandinave avec une tête de dragon en avant ; sa voile est gonflée par un vent favorable ; Og Bören bläser dennem ind for Danmark ; deux colombes volent avec lui comme pour le guider au nom des dieux ; à son grand mât sont attachés les boucliers scandinaves : celui de la Suède portant encore les trois couronnes, celui de la Norvège avec le lion armé d’une hache. Debout, à la proue du navire, le Suédois semble vouloir s’élancer vers le Danemark, dont il aperçoit la côte, et, derrière lui, le Norvégien, appuyé sur sa vieille hache, calme et fier, étend la main au-dessus de ses yeux, comme ébloui par le spectacle inaccoutumé des armées et des vastes plaines.

Quel sera l’avenir de ce mouvement national auquel les trois peuples du Nord semblent s’être livrés avec entraînement, surtout de 1840 à 1848 ? Nul ne le saurait prévoir. Les trois dernières années l’ont certainement fait tomber en défaveur, et le scandinavisme n’est décidément qu’une espérance qui n’est pas près d’entrer dans le domaine de la politique. Faut-il même le dire ? les trois nations scandinaves sont loin de s’aimer réciproquement ; chaque mesure du cabinet de Stockholm