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trompons, cette comédie primitive, ce grenier à sel où a puisé Molière et qu’il pourrait bien avoir vidé, offrait les élémens naïfs, et, pour ainsi parler, synthétiques de tout ce qui commence. Ce répertoire se composait de types classiques, traditionnels, tout d’une pièce, en qui se résumait un monde à part, un monde de passions, de ridicules et de vices, personnifié dans Cassandre et dans Scaramouche, dans Pierrot et dans Colombine. Ces types étaient si franchement accusés et si généralement acceptés, qu’ils s’incarnaient dans l’acteur chargé de les représenter, et souvent se confondaient avec lui. Chez Molière, le type subsiste, mais il se modifie et devient caractère : l’avare, le faux dévot, le misanthrope, la précieuse. Nous le voyons alors se dégager de ces limbes du vieux théâtre, où il conservait sans mélange ses traits, son nom et son costume, pour se rapprocher de la vie réelle, des hommes de son temps, de la société dont il reflète les mœurs et les travers. Alceste, Clitandre, Trissotin, Arnolphe, M. Jourdain, sont encore des personnages de comédie, mais ils sont déjà des gens du monde, et l’on démêle aisément les innombrables analogies que l’immortel comique a su indiquer entre les créations de son génie et les modèles placés sous ses yeux. Plus tard, à mesure que l’analyse pénètre la société et la littérature, un nouveau travail s’accomplit, et efface encore les saillies et les arêtes. Il ne reste plus que des surfaces polies, brillantes, mobiles, où se joue, comme un rayon d’automne, la grace maniérée de Marivaux. Enfin, dans notre siècle où l’analyse est restée souveraine, où les types ont disparu, où la société, gagnée peu à peu par mille transformations successives qui décomposent et morcellent tout, n’offre que des superficies et des nuances, nous ne trouvons plus au théâtre ces personnifications, ces physionomies particulières de la vieille lignée comique, mais des gens qui s’appellent comme nous, vivent de notre vie, et conservent à peine quelques traits distinctifs au milieu de cet effacement général des figures et des caractères. — Un public accoutumé à ces aspects du théâtre moderne pouvait-il tout à coup reculer de deux cents ans, et s’intéresser à ces portraits de famille de la comédie ? — Pour réussir à l’y ramener, il eût fallu du moins un auteur propre à ressusciter ce genre, à y apporter un fonds de gaieté naïve et primesautière qui eût rendu ces types acceptables et possibles. Or, sans déprécier une seule des facultés éminentes de Mme Sand, on doit avouer qu’elle n’est pas gaie. Qu’elle s’en console ! elle a cela de commun avec tous les écrivains célèbres de notre siècle. On chercherait vainement une plaisanterie dans M. de Lamartine ; on sait de quelle lugubre façon M. Hugo a installé dans ses drames le bouffon et le grotesque ; nous ne connaissons rien de plus funèbre que le rire de M. de Chateaubriand, et la gaieté de M. Béranger nous a toujours paru fort problématique. Fille de Jean-Jacques, traductrice élégante de cette sensibilité nerveuse et factice qui fuit la société, au lieu de s’en accommoder et de la peindre, et qui va chercher dans la solitude et la campagne l’aliment de ses secrètes révoltes contre les lois sociales, Mme Sand se trouve placée dans les conditions les plus contraires à ce vieux genre où elle a essayé de retremper sa renommée et son talent. L’analyse appliquée tantôt aux phénomènes psychologiques, tantôt aux spectacles extérieurs, tantôt aux couvres d’art, — voilà ce qui se révèle constamment dans ses livres. Qu’elle étudie la passion dans ses phases les plus subtiles, et l’amène, par décompositions graduelles, jusqu’au découragement et à l’impuissance, qu’elle décrive la nature avec cette admiration pénétrante