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et Eugène Delacroix. Avant de devenir des maîtres et de se placer, chacun dans son genre, à la tête de l’école, ils ont consenti à être élèves. La génération qui les suit a imité leur exemple, et, comme eux, elle a étudié pour apprendre. Quant à la spontanéité du talent, elle est d’origine toute récente ; elle procède en ligne directe de la franchise illimitée de l’art, et nous paraît la conquête la moins contestable de notre époque de perfectibilité. On devient artiste comme on devient poète, comme on devient homme d’état, par une sorte d’intuition secrète et de subite révélation. Que de jeunes gens, après avoir suivi pendant quelques mois les cours de l’École des Beaux-Arts ou après avoir fait une apparition dans l’atelier du naître à la mode, finissent par se croire dessinateurs, parce qu’ils peuvent mettre une figure ensemble, et par se persuader qu’ils sont peintres, parce qu’ils sont arrivés à couvrir plus ou moins fantastiquement des nuances les plus hétérogènes une toile de quelques pieds carrés ! Ils revêtent un à-peu-près de forme d’un à-peu-près de coloris, et ils envoient au salon ce beau chef-d’œuvre, qu’ils appellent un tableau ! Soit pitié, soit fatigue, soit faiblesse de la part du jury, qui se trouve débordé par cette invasion compacte du médiocre, le prétendu tableau est admis, et voilà un peintre de plus, un exposant ! De là ces milliers d’œuvres sans nom qui garnissent les murailles des salles de l’exposition. Ces éducations incomplètes et ces fausses vocations font le désespoir d’honnêtes familles ; elles perdent de malheureux jeunes gens qu’elles condamnent aux labeurs les plus ingrats, à l’existence la plus précaire ; elles perdraient l’art par l’abus qu’elles font de ses procédés, par le dégoût qu’elles inspirent pour ses productions en les vulgarisant, si l’art était moins robuste et qu’il pût être perdu.

Sans vouloir prêcher un retour absolu aux anciennes disciplines et aux traditions académiques, nous croyons qu’il y a nécessité d’insister sur une réforme prompte et radicale dans les études, et particulièrement dans ce qu’on pourrait appeler l’instruction secondaire. De même qu’on n’est ni poète ni écrivain parce qu’on sait lire et écrire, on n’est pas peintre parce qu’on sait faire emploi du crayon et de la couleur. On ne le devient qu’à la charge de remplir certaines obligations essentielles et pratiques, et de se livrer à des études consciencieuses et toujours pénibles, à la condition surtout de montrer plus de respect pour le public et plus de souci de sa dignité propre.

Un critique d’une parfaite bonne foi, et dont l’expérience ne peut être contestée, M. Delécluze, dans le préambule du volume qu’il a publié sur la dernière exposition, a établi une ingénieuse statistique des expositions de peinture à partir de 1673, époque de la première exposition publique des couvres des artistes académiciens, jusqu’au Salon de 1851. Les résultats auxquels il est arrivé, s’ils étaient rigoureusement exacts, prouveraient peu en faveur du progrès. En 1673, cinquante