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Nous croyons donc que, si le niveau de l’art a baissé sous certains rapports, le nombre des gens de talent, d’un vrai talent, et par là nous entendons ceux dont les productions auront une valeur durable, s’est accru dans une notable proportion. C’est là même un des caractères de notre époque, et dont nous devons peut-être autant nous attrister que nous réjouir, car cette dissémination des talens, dans les arts comme dans les lettres, est presque toujours un présage de décadence. Aussi croyons-nous que les efforts de la critique, comme les encouragemens de l’état, doivent s’attacher aujourd’hui à restreindre cette production exagérée et tendre moins au développement qu’à la concentration des talens. C’est dans ce sens que les efforts les plus énergiques doivent être dirigés. L’administration, nous ne le savons que trop, n’a rien négligé, dans ces dernières années, pour arriver à ce résultat ; elle y tend au milieu de difficultés énormes et à travers mille obstacles sus-cités souvent par ceux-là même qui devraient les aplanir ; elle doit et veut atteindre à ce but, et elle y atteindra. En attendant que ses sages efforts portent fruit, les inconvéniens d’une production inconsidérée, de l’absence de toute discipline et de toute règle, se manifestent de plus en plus clairement, et c’est surtout aux expositions annuelles qu’on les voit se produire. Le mal semble là d’autant plus grand, qu’il apparaît sans atténuation et sans remède. Ce remède, les maîtres seuls pourraient l’offrir en se mêlant à la lutte et en consentant à placer sous les yeux de la foule ces morceaux d’élite qu’ils réservent à l’admiration complaisante d’un public restreint. Nous savons que plusieurs artistes éminens mettent un point d’honneur à tenter la rude épreuve du Salon, et nous leur savons un gré infini de cette louable condescendance ; mais le nombre de ceux qui se retirent du combat est beaucoup trop considérable, et, par suite de ce fâcheux système d’abstention, que nous ne pouvons trop hautement déplorer, le mal fait chaque jour de nouveaux progrès. Ce remède, ou plutôt ce correctif, que nous ne rencontrons pas assez complètement dans les expositions annuelles, il appartient à la critique de le chercher, de le signaler partout où il existe, en dehors des expositions, dans les ateliers des artistes chargés de travaux affectés à certaines destinations spéciales, et au besoin dans les monumens mêmes dont la décoration leur est confiée. Il est bon aussi que le public soit mis à même d’apprécier les efforts que l’on a tentés récemment pour rallier les forces éparses et donner à l’art une direction à la fois plus sérieuse et plus digne.

C’est sous ce nouvel aspect que le mouvement des arts nous paraît vraiment utile à étudier ; c’est sur les grands travaux de la peinture et de la sculpture monumentale qu’il convient de détourner un peu de cette attention, que se disputent chaque année tant de productions frivoles.