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sans laisser aux Romains le temps de se reconnaître, nos intrépides soldats se précipitent dans le bastion par les embrasures, faisant main-basse sur tout ce qu’ils rencontrent. C’est ce moment que le peintre a choisi. Nous sommes au centre du bastion que les Français envahissent de toutes parts. Les insurgés, voyant le jour poindre et croyant l’assaut ajourné, se reposaient ou mangeaient. La terre est jonchée de leurs vêtemens, de leurs armes et des débris du repas interrompu. Ici, on se fusille à bout portant ; là, on lutte corps à corps, on s’entretue, on s’égorge ; point de quartier. Partout le désordre, la fuite, la mort. Le peintre a réuni sur les premiers plans du tableau tous les incidens qui accompagnent une prise d’assaut. Chacun obéit à son tempérament ou à ses instincts. On sait que les bandes qui défendaient Rome se composaient d’individus de toutes les nations. Le peintre s’est attaché à bien caractériser dans ce moment suprême les impressions et la manière d’être de ces personnages, eu égard à la nationalité à laquelle appartient chacun d’eux, et peut-être a-t-il mis un peu de recherche dans cette étude. Les Italiens fuient on se précipitent en aveugles au-devant du danger ; les Allemands gardent leur calme accoutumé : l’un d’eux, jeune étudiant, à en juger par son costume, s’arrache difficilement à la méditation où l’avait plongé la lecture de son auteur favori. Les Français qui combattaient avec les Romains s’indignent et veulent haranguer leurs compatriotes vainqueurs ; ils pensent, au moyen de l’article 1er de la constitution affiché dans les batteries et qu’ils proclament à haute voix, conjurer les baïonnettes et les balles. Un d’eux, pâle de colère, a découvert sa poitrine ; il est à craindre que les assaillans ne voient en lui qu’un transfuge, et que la poitrine d’un Français ne soit frappée par une arme française. Une femme, une Romaine, s’est jetée au-devant des vainqueurs, les bras en avant et implorant leur pitié, non pas pour elle sans doute, mais pour un amant. Cette scène de confusion et de terreur est rendue avec tout le talent de M. Horace Vernet. Les épisodes sont saisissans et le mouvement du combat est très bien exprimé. Nous aurions voulu peut-être que ce désordre fût plus complet encore et sentît moins l’arrangement, surtout vers la gauche, à l’extrême premier plan du tableau. On peut souhaiter de ce côté plus de liaison entre les groupes, un peu de ce pêle-mêle sauvage de Salvator Rosa, de cette furie qui précipite l’un contre l’autre les deux premiers pelotons des combattans de Montmirail ; mais M. Vernet nous dira que des gens surpris et débandés ne combattent pas avec la même énergie que ceux qui s’attaquent de front et à forces égales, et il aura raison.

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle et importante composition de M. Horace Vernet lui fait grand honneur. On peut lui appliquer le mot de Napoléon à propos de la bataille de Friedland : La dernière bataille de M. Horace Vernet est digne de ses aînées. Nous ne doutons