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sopraniste Marchesi et le ténor Lazzarini, puis dans le Demofoonte de Portogallo. Le succès de Mme Grassini fut éclatant dans ces deux ouvrages, et son nom se répandit aussitôt dans toute l’Italie. Les premiers théâtres de la péninsule se disputèrent la possession d’une cantatrice jeune et belle, que sa voix magnifique et son style sévère avaient tout à coup placée au premier rang.

Après une absence de deux années qu’elle employa à visiter triomphalement les villes les plus importantes, Mme Grassini retourna à Milan, dans le carnaval de 1796, et reparut à la Scala, dans un opéra de Traetta, Apelle e Campaspe, et puis dans le Romeo e Giulietta de Zingarelli, qui fut écrit expressément pour Mme Grassini et Crescentini. C’est dans cet ouvrage, qui a été composé en quarante heures, si l’on en croit un peu la légende[1], dans cet ouvrage, qui, malgré sa faiblesse, peut être considéré comme le chef-d’œuvre dramatique de Zingarelli, que Mme Grassini atteignit le point le plus élevé de sa belle renommée. Dans la plénitude de la jeunesse (elle avait alors vingt-trois ans), riche des plus charmans trésors, douée d’une voix admirable que dirigeait le goût le plus pur et qui se colorait des plus vives ardeurs de la passion, Mme Grassini avait trouvé dans le rôle de Giulietta l’idéal qui devait exciter et développer les instincts élevés de sa propre nature. Il est à remarquer que les grands chanteurs, aussi bien que les compositeurs et tous ceux qui s’adonnent aux arts de l’esprit, ne rencontrent qu’une seule fois dans leur carrière l’occasion de condenser ainsi dans une fiction de la fantaisie les rêves, les aspirations mystérieuses et ces souvenirs intimes et lointains dont s’alimente la source de notre vie morale. Telle est l’origine de ce qu’on appelle un chef-d’œuvre, qui contient l’essence la plus pure de celui qui l’a produit. Bien que les chanteurs et les comédiens en général semblent devoir échapper à cette loi d’identification, il n’en est pas moins vrai que les grands artistes ne se révèlent tout entiers et d’une manière inimitable que dans un rôle de prédilection, où leurs aptitudes, mêlées à leurs qualités physiques, trouvent à s’épanouir en un tout harmonieux. Voilà pourquoi Mme Pasta n’a jamais eu de rivale dans le rôle de Tancrède, ni Mme Malibran dans celui de Desdémone, pas plus que Mme Grisi dans celui de Norma, de l’opéra de Bellini.

Pendant le carnaval de l’année 1797, Mme Grassini chantait à Venise dans les Horaces de Cimarosa, ouvrage qui paraît avoir été composé dans la même ville en 1794, car il existe un peu d’incertitude sur l’année précise qui a vu naître le meilleur opéra sérieux qui nous soit resté de l’auteur du Mariage secret. Dans l’été de cette même année

  1. Voyez les Memorie dei compositori di musica del regno di Napoli, par le marquis de Villarosa, à l’article Zingarelli. Naples, 1840.