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constater que, dans ce livre, M. Murger a singulièrement agrandi sa manière, et qu’il est entré pour la première fois dans le roman proprement dit, car les Scènes de la Vie de Bohême n’étaient que d’agréables pochades, éclairées par un gai rayon de jeunesse et de soleil. Dans le Pays Latin, nous trouvons enfin des passions et des caractères. Les premières pages nous semblent comparables à ce que le roman moderne a produit de plus frais, de plus délicat et de plus charmant. Le récit, par malheur, ne se maintient pas dans ces régions pures et exquises. L’auteur revient, un peu trop complaisamment peut-être, à son monde de prédilection, au monde des étudians et des grisettes ; mais cette fois du moins il ne s’y contente pas de joyeuses saillies et de silhouettes bouffonnes : il y reprend l’éternel poème de la passion humaine, et il décrit avec art quelques-unes de ces bizarreries du cœur que tant de regards ont pénétrées, que tant de plumes ont dépeintes, et qui ne sont pas encore épuisées. Il y a, malgré quelques longueurs, une grande vérité d’observation, une remarquable justesse d’analyse dans l’amour d’Édouard pour Mariette, amour étrange qui poursuit, à travers la réalité présente, l’image lointaine d’une autre femme, et dans ces alternatives de jalousie qui ramènent l’amant aux pieds de sa maîtresse du moment qu’il la croit perdue pour lui. Seulement, maintenant qu’il est prouvé que M. Henry Murger est mieux qu’un fantaisiste aimable, qu’il sait observer et peindre, s’en tiendra-t-il toujours aux horizons du Luxembourg et aux mansardes du quartier latin ? Ne cherchera-t-il pas des modèles plus sérieux, plus dignes de la maturité d’un esprit fécond, offrant de plus hautes perspectives, de plus larges échappées ? C’est une question que nous lui adressons avec toute la sympathie que nous inspire son talent.

Au reste, M. Murger a déjà des imitateurs et des élèves. Sous ce titre singulier, Voyage autour de ma maîtresse, a paru un petit livre qui relève visiblement des Scènes de la Vie de Bohême et de Jeunesse ; cela est jeune aussi, mais, le dirons-nous ? il nous semble qu’on abuse un peu, dans cette littérature, de cette note nouvelle qui a remplacé les élégiaques tristesses de l’école de René et des Méditations. Être jeune, avoir vingt ans, sentir s’élever dans son cœur les brises matinales, chanter l’amour et le printemps, les femmes et les fleurs, dans un hymne confus, pareil au gazouillement des oiseaux sous la feuillée, c’est charmant sans doute, mais ce n’est pas tout, Il y a, à toutes les phases littéraires, des aspects fugitifs, extérieurs, qui ne sont qu’affaires de mode et de costume : tantôt la rêverie en longs voiles de deuil ; tantôt le désespoir dithyrambique ; ici, le retour passionné aux beautés du paysage et aux paisibles impressions de la vie champêtre ; là, l’apothéose des joies de la famille et des félicités domestiques ; plus loin, l’élan juvénile vers tous les hasards du grand chemin. Au-dessous de ces surfaces mobiles, le vrai talent sait toujours mettre ce qui fait vivre les ouvrages de l’esprit ; et plus tard, à distance, lorsque le costume vieillit ou s’efface, ce qui n’était que mannequin tombe en poussière ; ce qui avait corps et ame subsiste, et continue la chaîne des œuvres durables. Mieux que nous, M. Murger apprendra à M. Gabriel Richard, l’auteur du Voyage autour de ma maîtresse, non pas comment l’on fait pour être jeune, mais comment l’on écrit des livres qui restent jeunes quand on ne l’est plus.

Toutefois nous préférons cet étalage de jeunesse au spectacle de ces vieux