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1848. Nos lettres ni nos journaux n’avaient pu franchir les barricades, un numéro du Galignani’s Messenger expédié d’Alexandrie nous fit connaître les noms des membres du gouvernement provisoire et la lutte engagée sur les marches de l’Hôtel-de-Ville entre le suprême espoir du parti modéré et la bannière de la terreur. C’est à ce moment critique que s’arrêtaient les dernières nouvelles parvenues jusqu’en Chine[1]. Il fallait attendre le courrier du 24 mai pour connaître le dénoûment d’une crise qui semblait devoir décider du sort de notre pays, de celui du monde peut-être. On concevra facilement nos inquiétudes. Notre imagination essayait en vain de soulever le voile qui couvrait l’avenir : tout était probable, tout était au moins possible. La seule chose qui nous parût inévitable, c’était la conflagration générale de l’Europe. Placés à cinq mille lieues de la France, que nous avions quittée depuis un an, nous pouvions aisément nous méprendre sur les causes secrètes et sur les conséquences d’une catastrophe aussi imprévue que le fut la révolution de février. Nous crûmes que le siècle remontait vers sa source, qu’il allait nous rendre les malheurs, mais aussi les gloires de nos pères, et nous nous efforçâmes d’oublier les sombres perspectives de l’avenir pour ne songer qu’aux nouveaux : triomphes qui semblaient promis à la France.

Si la guerre maritime éclatait, la Bayonnaise se trouvait dans une excellente situation pour y prendre part. Une année d’armement et de navigation avait complété l’instruction militaire de son équipage, et l’heureuse influence de la mousson du nord-est avait effacé jusqu’au souvenir du pénible passage de la corvette à travers la mer des Moluques. L’annonce d’une révolution, loin d’exercer à bord de la Bayonnaise cette action dissolvante qu’on était en droit d’appréhender, n’avait fait, se confondant avec l’attente d’une guerre prochaine, que resserrer entre les officiers et les matelots ces liens d’une confiance mutuelle et d’un dévouement sans arrière-pensée à l’honneur du pavillon.

C’est dans de semblables momens qu’un capitaine doit doublement s’applaudir d’être entouré d’officiers, aussi distingués, aussi remarquables à tous égards que l’étaient ceux qui composaient l’état-major de la Bayonnaise. Il en était un surtout dont le concours devenait d’autant plus précieux que les circonstances semblaient plus critiques. Quiconque aura vécu pendant quelques années de la vie du marin, quiconque aura pu observer l’organisation, l’existence intime d’un navire de guerre, comprendra sans peine combien les nouvelles que nous venions de recevoir allaient rendre plus délicate et plus assujettissante

  1. On sait qu’un service régulier de paquebots à vapeur anglais, passant par Aden ; Ceylan, Poulo-Penang et Singapore, relie depuis quelques années le port de Suez et celui de Hong-kong. Les lettres de Londres qui traversent Paris le 25 de chaque mois, arrivent à Hong-kong en cinquante-cinq ou soixante jours.