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pensons qu’il est utile, sinon de les signaler, au moins de les faire pressentir. Les officiers de la marine anglaise ne craignent point, dans l’ardeur de leur polémique et de leur patriotisme, d’exposer les côtés faibles du redoutable établissement naval de la Grande-Bretagne. Nous ne les suivrons pas dans cette voie ; mais on nous permettra d’exprimer le vœu que l’éventualité d’une rupture, — improbable je l’accorde, presque impossible j’en conviens, mais à tout jamais funeste si on lui laissait le caractère et les inconvéniens d’une surprise, — soit toujours présente à la pensée de nos chefs et de nos hommes d’état, dirige : invariablement leurs conseils et préside à leurs résolutions.

Une dépêche chiffrée, adressée au département des affaires étrangères par les soins de M. Forth-Rouen, annonça au ministre de la marine notre détermination. Le 3 mai 1848, munis de six mois de vivres et tout occupés des projets d’une campagne qui, dans notre pensée, ne devait pas être moins heureuse que la célèbre croisière du vaisseau le Centurion[1], ou que celle de la frégate Essex[2], nous appareillâmes de la rade de Macao avec le premier souffle de la mousson de sud-ouest[3]. Avant le coucher du soleil, nous avions franchi le canal

  1. Le Centurion était le vaisseau monté par le fameux amiral Anson. Après avoir relâché aux îles Mariannes en 1742, l’amiral captura sur la côte méridionale de l’île Luçon le galion des Philippines, et vint ensuite se ravitailler dans la rivière de Canton.
  2. La frégate américaine Essex était commandée par le capitaine Porter. N’ayant pu, au début de la guerre de 1812, rallier la division à laquelle il devait se joindre sur les côtes du Brésil, cet officier prit le parti de doubler le cap Horn. Les Anglais comptaient alors un grand nombre de baleiniers dans l’Océan Pacifique. L’Essex fit le plus grand tort à ce commerce. La capture de plusieurs navires montés par de nombreux équipages et toujours approvisionnés pour deux ou trois ans de campagne, offrit à cette frégate des ressources sur lesquelles il ne faudrait pas compter aujourd’hui, car la pêche de la baleine ne se fait plus guère dans l’Océan Pacifique que sous pavillon américain.
  3. Il n’y avait, au moment de notre départ pour les îles Mariannes, qu’un seul navire de commerce français dans les mers de Chine : c’était le brick le Pacifique, qui venait d’arriver du port de Lima. Avant de quitter Macao, nous songeâmes à pourvoir à la sûreté de ce bâtiment, alors mouillé sur la rade de Hong-kong. Nous offrîmes de lui fournir des vivres et de le conduire à Manille ou à Batavia. Retenus par un honorable scrupule, les officiers du Pacifique ne voulurent point gêner nos mouvemens en acceptant l’escorte qui leur était offerte et préférèrent entrer dans le port intérieur de Macao.