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des rivages inconnus et s’égaraient au milieu de détroits inexplorés. Il fallait de patientes recherches pour découvrir, avec le secours d’une longue-vue, quelques bulles de bambou et de feuillage groupées à de rares intervalles près du bord de la mer. Nul être humain ne se montrait sur la plage, nulle embarcation ne traversait les canaux à peine effleurés par la brise ; une forêt compacte s’étendait jusqu’aux humides sommets dont nos regards mesuraient avec étonnement la hauteur, et si quelques plaques d’un vert tendre, indiquant les grossiers défrichemens des Indiens, n’eussent marbré parfois de leurs teintes changeantes ce sombre manteau de verdure, aucun indice n’eût trahi la présence de l’homme sur les côtes méridionales du détroit.

Le canal de San-Bernardino, assez large dans la majeure partie de son étendue, se resserre cependant sur trois points : entre la partie septentrionale de Mindoro et l’île Verte, — entre la pointe méridionale de Luçon et l’île Capoul, -entre l’îlot de San-Bernardino et la côte de Samar. Dans ces trois goulets, la marée acquiert de grandes vitesses. La brise, généralement très faible, ne permet pas de dominer ces courans capricieux, et le canal, dans lequel on trouve rarement moins de soixante-dix à quatre-vingts brasses, n’offre point la ressource de mouiller pour attendre le retour de la marée favorable. Le passage le plus difficile se présente près de l’île Capoul. Trois îlots aux sommets arrondis se détachent en cet endroit de la pointe méridionale de l’île de Luçon et réduisent la largeur du canal. Non loin du plus occidental de ces îlots, un banc de corail forme un écueil blanchâtre autour duquel on ne voit point jaillir la blanche et sonore écume des brisans. Ce fut à deux heures de la nuit que le vent, long-temps attendu, nous permit de nous engager dans cette passe, où nous entraînait déjà un courant rapide. Les lueurs fallacieuses de la lune se jouaient sur les eaux doucement agitées du détroit et noyaient dans leur sillon d’argent le périlleux écueil vers lequel nous courions. Nous n’étions pas à cent mètres de ce rocher, qui s’élève à peine au-dessus du niveau des hautes mers, quand les hommes qui veillaient au bossoir l’aperçurent. Nous nous en écartâmes brusquement, mais la sonde nous signala bientôt un nouveau danger. Le timonnier placé dans les porte-haubans n’annonçait plus que quatre brasses. L’ordre fut donné sur-le-champ de mouiller. Pendant qu’on s’occupait d’exécuter cet ordre, le fond augmenta subitement, et l’ancre s’arrêta sur le bord d’un talus escarpé, par une profondeur de vingt-sept mètres. Nous dûmes nous féliciter d’avoir rencontré, pour jeter l’ancre, ce plateau ignoré. Le courant, en effet, ne tarda pas à changer de direction, et deux bricks du commerce qui nous avaient dépassés furent ramenés vers nous avec une rapidité prodigieuse. Nous les vîmes, bien qu’une faible brise enflât