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il avait si long-temps combattu par ses vœux et par ses prières, pour ne songer qu’à ses chers Indiens, à leur salut et à leur avancement spirituel. La physionomie du padre Vicente, son front sillonné de rides précoces, ses traits amaigris par l’ascétisme et par les travaux apostoliques, méritaient de rester gravés dans notre mémoire. Il me semble voir encore cette figure austère, ces yeux caves, ce regard éclairé d’un feu sombre, dont la charité évangélique tempérait à peine l’éclat. Il y avait un moine du moyen-âge dans le curé d’Agagna ; sa figure, encadrée par le froc blanc des augustins, rappelait, à s’y méprendre, les types rendus célèbres par le pinceau des Ribeira ou des Velasquez. Le padre Manoël, avec sa face épanouie et son triple menton, ne pouvait éveiller aucune de ces idées poétiques : c’était un de ces joyeux échantillons du clergé espagnol contre lesquels nos préjugés gallicans prononcent avec tant de légèreté un arrêt impitoyable. Une foi sincère, un sérieux attachement à tous les devoirs de sa profession rachetaient amplement la verve andalouse et l’aimable abandon du padre Manoël. L’infatigable curé s’occupait avec la même ardeur des intérêts spirituels et des intérêts temporels de ses ouailles. C’était lui qui leur avait appris à choisir les terrains convenables pour la culture du maïs et pour celle du taro, qui leur avait conseillé de ployer au joug leurs bœufs à demi sauvages et de naturaliser dans leur île les chevaux de Sydney ; c’était lui qui leur recommandait sans cesse d’ensemencer leurs terres et d’engraisser leurs bestiaux, afin d’attirer à Guam ces navires baleiniers dont la présence peut seule vivifier aujourd’hui les îles de l’Océanie. Le village d’Agat se ressentait de l’active et bienfaisante influence de son curé. C’était le village le mieux aligné et le plus propre de l’île, ha route qui le traversait était toujours exempte de fondrières ; les ponts, s’ils étaient emportés par un ouragan, se trouvaient à l’instant rétablis. L’église, bâtie et entretenue par la piété des fidèles, n’avait sa pareille dans nul autre village, et quand, à la lueur des cierges flamboyans sur l’autel, la madone apparaissait revêtue de ses habits de fête, on eût pu remarquer sur la sainte image des perles et des dorures à faire mourir d’envie tous les habitans d’Agagna.

Tels étaient les deux religieux que nous trouvâmes réunis chez le gouverneur intérimaire des îles Mariannes, et qui devaient composer, avec don José Calvo, un des hommes les plus bienveillans que nous ayons rencontrés, la seule société qui pût égayer notre séjour dans l’île de Guam. À l’exception de ces trois personnages, la race européenne était guère représentée aux Mariannes que par un lieutenant d’infanterie, le lieutenant Martinez, et par deux marins anglais établis à Guam depuis longues années, le pilote Roberts et le capitaine Anderson. Roberts était un homme doux et modeste, peu prodigue de paroles,