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notre voile à la brise de terre qui venait de s’élever, nous cinglâmes rapidement vers la corvette, où nous arrivâmes enchantés de notre voyage, et tout prêts à recommencer une semblable campagne, si le ciel voulait nous ménager encore une aussi belle journée et d’aussi intéressans épisodes.

Ce ne fut point la seule fois que nous visitâmes la capitale des îles Mariannes. La gracieuse urbanité du gouverneur et du padre Vicente nous y rappela bien souvent. Le padre Manoël voulut aussi nous montrer sa pittoresque paroisse, nous éblouir de ses feux d’artifice, nous ravir par les accords de son orchestre indien. Aux villages d’Agat et d’Agagna durent d’ailleurs se borner nos promenades. Bien que la végétation des Mariannes soit loin de déployer une vigueur comparable à la profusion sauvage des forêts de la Malaisie, nulle part nous n’avions trouvé de fourrés plus impénétrables que ceux que présentent les rivages de l’île de Guam. Un arbuste importé de Manille en 1780, le lemoncito, espèce de citronnier aux baies rouges, que les oiseaux se sont chargés de propager, a envahi les moindres clairières et remplit les intervalles des grands arbres de ses rameaux épineux. Le voyage de la ferme de Soumaye, qui se trouvait en face de notre mouillage à la pointe Oroté, sur laquelle nous avions établi une vigie, offrait des difficultés dont il eût été impossible de triompher sans un guide. La sagacité d’Uncas ou de Chingahgook était indispensable pour se diriger à travers ces bois, dans lesquels, si l’on sortait un instant du sentier frayé, on ne rencontrait plus qu’un dédale inextricable. N’osant nous aventurer au milieu de pareils labyrinthes, le temps que nous ne passions pas chez don José Calvo ou chez le padre Manoël, nous l’employions à errer à marée basse sur les récifs. Quelques heures nous suffisaient pour charger une embarcation de coquillages ou de mollusques. Le goût de l’histoire naturelle était devenu presque général à bord de la corvette, et c’était à qui découvrirait le cône impérial ou le cône flamboyant, la mitre papale ou la couronne éthiopienne, et surtout la fameuse porcelaine aurore ; mais cet objet d’envie de tous les amateurs,


Rara avis in terris, nigroque simillima cycno,


trompa les recherches les plus obstinées, et un seul d’entre nous put emporter de Guam, grace à la munificence de don José Calvo, ce rare échantillon des coquilles polynésiennes.

C’est au milieu de ces distractions et des nombreux exercices à feu par lesquels nous croyions préluder à notre prochaine croisière, que nous vîmes s’écouler le mois de juillet. Le padre Manoël, le gouverneur d’Agagna et le padre Vicente cessèrent alors de recevoir nos visites, car nous ne voulions pas perdre de vue la pointe Oroté sur laquelle