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avions rencontré un de ces épis que les alluvions projettent souvent aux endroits où s’infléchit le cours des fleuves, nous nous fussions enfouis de telle façon dans la vase, qu’il eût fallu vider entièrement la corvette pour la remettre à flot. Cette épreuve nous fut épargnée. À cinq heures du soir, nous vîmes apparaître au-dessus des prairies qui bordent le fleuve la mâture des navires mouillés à l’embouchure du Wam-pou, en face de la ville de Wossung. Nos basses voiles étaient depuis long-temps carguées, nos huniers mêmes cessèrent alors de nous être nécessaires ; ce fut donc à sec de voiles que vingt jours après notre départ de Macao, le 21 janvier 1849, nous vînmes jeter l’ancre à l’entrée du fleuve qui devait nous conduire à Shang-haï.

Ainsi, en moins de neuf mois, nous avions embrassé dans nos actives croisières les dernières possessions des Indes espagnoles et les extrêmes dépendances du Céleste Empire. Nous venions d’apprendre comment on pouvait lutter contre la mousson et se porter en tout temps de la rade de Macao vers les côtes septentrionales de la Chine. En temps de guerre, ces leçons n’auraient point été perdues ; mais, pour que notre éducation maritime fût complète, il nous fallait remonter jusque sous les murs de Shang-haï, explorer cet inextricable archipel de Chou-san, franchir l’étroite embouchure de la Ta-hea, mouiller sous les murs de Chin-haë, et, s’il était possible, devant les quais de Ning-po. Il nous fallait enfin, avant de rentrer à Macao, conduire la Bayonnaise dans la baie d’Amoy, étudier cette rade immense, ce port intérieur qui, lorsque les Anglais occupaient l’île de Ko-long-seu, sembla balancer un instant la prédilection accordée à l’île de Chou-san. Cette nouvelle campagne, qui formera un autre épisode de notre station, devait nous occuper jusqu’à la fin du mois de mars, et graver dans notre esprit d’ineffaçables souvenirs.


E. JURIEN DE LAGRAVIERE.