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LE BONACCHINO


SOUVENIRS DE LA VIE SICILIENNE.

I.

Quand on voyage dans les pays méridionaux ; il faut être bon compagnon, prendre sans colère les petites contrariétés, se résigner à faire souvent mauvaise chère, rire des fourberies, se consoler d’être volé à chaque pas en observant des traits de caractère, et se débattre comme on peut contre les inconvéniens d’un climat qui offre tant d’avantages. Pendant l’hiver que j’ai passé à Naples, j’avais résolu de ne m’irriter de rien. Ma constance ne fut ébranlée ni par la négligence des domestiques, ni par les tours pendables des aubergistes, ni par la malpropreté de la ville entière, ni par la cuisine nauséabonde, ni par le vin âcre corrigé avec de l’eau trouble, et, lorsqu’en rentrant le soir je ne trouvais dans mes bas que quinze ou vingt puces, je me félicitais de mon bonheur.

Une seule chose a failli plusieurs fois triompher de ma patience : c’est l’obstination de quelques habitans du pays à nier, par un amour-propre mal placé, l’existence même des fléaux dont j’avais la magnanimité de ne pas me plaindre. Vit-on jamais un Parisien nier le froid, la neige, la boue de Paris ? Quand on gémit, chez nous, de l’obscurité ou de l’inconstance du ciel, nous vit-on jamais prendre fait et cause pour le brouillard et les giboulées ? A Naples, ce n’est point assez que l’étranger accepte avec résignation toute sorte de calamités : il lui faudrait, pour ne mécontenter personne, admirer une carafe où nagent des têtards, ne parler qu’avec respect d’une punaise ou d’un